Ce sont des réseaux de trafiquants d'antiquités qui ont planifié le vol des musées irakiens Alors que la foule hystérique déboulonnait la statue de Saddam Hussein, déchirait ses portraits géants, dans un mouvement iconoclaste auquel on est maintenant habitué depuis la chute du mur de Berlin et la délénilisation de l'Union soviétique, des spécialistes du pillage, parfaitement encadrés par les soldats de la coalition, faisaient main basse sur les trésors archéologiques de l'Irak. Dans le climat de chaos créé par la fin des bombardements et l'effondrement du régime irakien, il était facile de faire passer le vandalisme des musées et des bibliothèques du berceau de l'Humanité pour des actes spontanés et anarchiques, alors que les analystes indiquent bien que ces actes répréhensibles sont l'oeuvre de professionnels liés à des réseaux de revendeurs organisés et bien structurés. C'est vrai qu'il existait un précédent qui pouvait faire accréditer l'idée que les populations des pays musulmans se désintéressaient de la partie de leur histoire qui n'est pas liée à l'ère islamique, tout ce qui a existé avant l'avènement de l'islam étant considéré comme faisant partie de la Djahilia et donc frappé de suspicion. Ce précédent est celui de la destruction des statues de Bouddha en Afghanistan par les talibans. En effet le 26 février 2001, le mollah Omar, chef des talibans, ordonnait, dans un décret, de détruire toutes les statues de Bouddha, jugées par lui anti-islamiques, et malgré une protestation internationale de grande ampleur, à laquelle s'étaient mêlés les pays musulmans scandalisés par un acte aussi ignoble, les bouddhas de Bamyan ont été détruits à la dynamite. La réaction du directeur général de l'Unesco, Koïchiro Matsuura, avait été fulgurante et exprimait l'émoi créé partout dans le monde par cette action irréfléchie des mollahs d'Afghanistan: «Un crime contre la culture vient d'être commis. En détruisant les bouddhas qui veillent depuis 1500 ans sur la vallée de Bamyan, les talibans ont commis l'irréparable et ont détruit une partie de la mémoire afghane.» Et de rappeler le texte de la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, adopté à La Haye le 14 mai 1954 et entré en vigueur le 7 août 1956, et dont 99 Etats sont signataires. L'acte inqualifiable des talibans était d'autant plus incompréhensible que le mollah Omar, autoproclamé commandeur des croyants, avait auparavant pris des mesures pour la protection des bouddhas de Bamyan, avant de se raviser et d'ordonner leur destruction. Les trésors culturels de nos contrées sont ainsi pris entre deux feux: le mépris dans lequel les tiennent les potentats locaux et les filières internationales spécialisées dans le trafic des vestiges et reliques historiques et archéologiques. Il n'y a qu'à voir l'état de dégradation avancée dans lequel se trouvent les gravures rupestres du Tassili et le pillage systématique auquel elles sont livrées. Les sites archéologiques de Djemila, près de Sétif, de Timgad à Batna, de Madaure à Souk-Ahras, le Mausolée royal de Maurétanie (plus connu sous le nom de tombeau de la Chrétienne), les musées de Cherchell, de Tipasa, et l'héritage inestimable de saint Augustin l'Algérien, considéré comme le père de l'Eglise et l'un des auteurs les plus prisés du monde, pour se rendre compte de notre incurie, de notre myopie et de notre ignorance.