L'homme des «petits pas» s'intéresse à cette région. Il prend le Maroc comme modèle pour le monde arabe. Dans une interview réalisée à New York et publiée avant-hier par l'hebdomadaire marocain Maroc Hebdo, le très cynique et peut-être actuellement sénile ex-secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, a évoqué en des termes étranges, sinon curieux, la situation politique et diplomatique dans la région du Maghreb. Sans aucune retenue et se croyant toujours aux affaires, celui qui, par sa tristement célèbre «politique des petits pas», a conduit le Proche-Orient et la nation arabe aux humiliations d'aujourd'hui, n'a pas trouvé mieux, pour qualifier la situation politique interne de notre pays, que de déplorer ce qu'il a appelé «la terreur et la violence» qui, selon lui, perdurent en Algérie. Parlant du conflit du Sahara occidental qui oppose depuis maintenant plus d'un quart de siècle le Front Polisario au royaume du Maroc, l'ex-chef de la diplomatie américaine a laissé entendre qu'il souhaitait un «dénouement pacifique» pour cette question. Occultant sciemment l'occupation militaire marocaine de ce territoire depuis 1975, en dépit de tous les efforts, initiatives et résolutions des instances de la légalité internationale (Assemblée générale, Conseil de sécurité de l'ONU, Comité de décolonisation de celle-ci, instances de l'ex-OUA devenue depuis U.A), celui qui fut longtemps présenté comme l'un des hommes clés de l'administration du président Richard Nixon éclaboussé et dépassé par le scandale du Watergate, a ajouté, que c'est le conflit sahraoui qui «entrave la mise en marche d'un grand Maghreb uni, fort et stable». Poussant le bouchon encore plus loin, et tentant une comparaison des régimes arabes actuels qui, de l'avis de tous les spécialistes de science politique se valent tous par leur autoritarisme, et leur refus d'une vie politique authentiquement démocratique, Henry Kissinger considère cependant que «Le Maroc de Mohammed VI doit être pris comme modèle de réussite politique dans le monde arabe». Il a même jugé que l'accès de l'ancienne opposition au pouvoir à Rabat fait que le royaume «est sur la bonne voie malgré les défis socio-économiques» auxquels il doit faire face. Faut-il entendre par là, que l'administration américaine actuelle, dont Kissinger est le père spirituel, sinon le conseiller à distance, travaille à transformer tous les régimes républicains arabes en monarchies absolutistes à la marocaine? L'ex-diplomate américain feint d'oublier aussi que la politique des faits accomplis de Rabat en matière de politique étrangère a failli mettre le feu aux poudres l'été dernier lors de la crise avec l'Espagne, un pays occidental, à propos de l'îlot du Persil dont les deux pays se disputent la souveraineté. Seule la médiation de Washington a permis alors d'éviter le pire et l'irréparable entre les deux parties. En fait, pour tous les analystes de la région, les déclarations de Kissinger sont étroitement liées au seul dossier sahraoui où les Américains essayent d'imposer leur plan de solution qui oscille entre une autonomie fort limitée pour les Sahraouis et une annexion pure et simple par le Maroc de ce territoire. C'est la fameuse «troisième voie» proposée par un autre secrétaire d'Etat U.S, M. James Baker, représentant spécial du secrétaire général de l'ONU pour cette question. Cela d'autant que des échéances cruciales vont concerner le dossier dans les prochains jours (présentation le 19 mai prochain du rapport de Kofi Annan sur la situation au Sahara occidental, et l'expiration du mandat de la Minurso à la fin du même mois). Aussi, et toujours selon ces analystes, tout ce show médiatique est orchestré par des cercles et des lobbies bien incrustés au sommet de l'Etat marocain. Ils essaient de la sorte d'actionner leurs relais ou leurs parrains internationaux afin de forcer la main aux autres parties concernées de près ou de loin par l'équation sahraouie à accepter cette prétendue troisième voie. Curieusement d'ailleurs, la soudaine sortie médiatique de Kissinger a coïncidé à un jour près, avec la présentation par le Maroc de sa réponse aux propositions de James Baker sur l'avenir du Sahara occidental. C'est tout dire.