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La duplicité américaine au Maghreb
Conflit du sahara occidental, terrorisme international et coopération
Publié dans Liberté le 18 - 04 - 2007

Alors que les débris des attentats perpétrés par la nouvelle formation d'Al Qaïda au Maghreb au cœur de la capitale algérienne sont toujours fumants, une autre attaque se profile sur le front diplomatique.
Abrams Elliot, le conseiller adjoint de la sécurité nationale chargé de la stratégie globale pour la démocratie, sème encore les germes de conflit au Moyen-Orient. Cette fois-ci, c'est au tour du différend au Sahara occidental, sous contrôle marocain après la fin du règne colonial espagnol.
Après avoir été marginalisé dans le conflit arabo-israélien, maintenant domaine presque exclusif de la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice et son département d'Etat, Abrams dégoupille une grenade qui pourra, à court terme, exploser en Afrique du Nord.
Il est sur le point d'opérer et de réaliser un changement majeur dans la politique des Etats-Unis qui aura permis le soutien de Washington à l'imposition unilatérale du Maroc de sa soi-disant initiative sur le Sahara occidental, ou plan d'autonomie pour le peuple du Sahara occidental.
Les officiels américains, occupés par d'autres problèmes régionaux pressants, ont vu dans l'ingérence d'Abrams dans le Maghreb comme le moindre prix à payer pour l'éloigner du domaine arabo-israélien. Ils n'ont pas accordé d'attention lorsque Abrams bricolait une nouvelle stratégie pour le Sahara occidental, une idée embryonnaire émise par l'ex-ambassadeur américain aux Nations unies, John Bolton (qui a menacé de se passer de la Minurso, devenu coûteuse, en l'absence d'un règlement heureux).
Largement indifférents, les bureaucrates du gouvernement américain ont été secoués cette semaine par les attentats terroristes en Algérie.
Les responsables chargés de la lutte antiterroriste au niveau de l'Etat et du gouvernement ont immédiatement commencé à examiner la nouvelle stratégie d'Abrams pour le Sahara occidental avec la crainte que la perception que les Etats-Unis sont aux côtés du Maroc pourrait chambouler l'initiative algéro-américaine sur la lutte antiterroriste transsaharienne et compromettre l'étroite coopération dans le domaine énergétique. Au moment où la présence d'Al Qaïda en Algérie s'accroît de manière exponentielle et les djihadistes algériens affluent vers l'Irak, le gouvernement américain a plus besoin de l'Algérie que de chercher à gagner la faveur de Rabat.
L'Algérie a toujours soutenu politiquement, financièrement et militairement les habitants sahraouis du Sahara occidental, représentés par le nationaliste Front Polisario. La majorité des sympathisants du Polisario vivent à Tindouf, dans de sordides camps de réfugiés en Algérie, près de la frontière. La possibilité d'une nouvelle orientation des Etats-Unis en faveur du Maroc, qui risque de compromettre le fragile cessez-le-feu préservé par les agents du maintien de la paix des Nations unies depuis 1991, va rendre plus volatile une région déjà déstabilisée. En effet, la question du Sahara occidental touche la corde sensible de l'inimitié mutuelle entre Marocains et Algériens, soufflant sur la braise du nationalisme de chacun.
Pire, le changement provocant dans la position américaine isolerait davantage les Etats-Unis de la communauté internationale (aux côtés de la France et de l'Espagne, les dépositaires d'enjeux, les postes coloniaux faisant obstacle) en plus, certains membres des Nations unies soutiennent l'avis de la CIJ, rendu en 1975, statuant que la souveraineté du Sahara occidental doit être déterminée par un référendum à travers lequel les habitants du Sahara occidental devraient voter. La nouvelle politique d'Abrams favorisant le Maroc est aussi une rupture dans les positions traditionnelles des Etats-Unis exprimées aux Nations unies (le staff des Nations unies à New York, qui y sont impliquées, est perplexe) tout comme les efforts consentis par l'ex-envoyé personnel (du secrétaire général) de l'ONU pour le Sahara occidental, coauteur d'un autre document négligé par Abrams : le rapport Baker-Hamilton.
Un communiqué publié le 10 avril par le bureau du sous-secrétaire d'Etat pour les affaires politiques, R. Nicholas Burns, qui loue l'initiative sur le Sahara occidental, un document de quatre pages présenté officiellement le 11 avril par une délégation aux Nations unies.
Utilisant une terminologie empruntée du lexique du néo-conservateur Abrams, le communiqué a qualifié l'initiative sur le Sahara occidental de “proposition sérieuse et crédible offrant une réelle autonomie pour le Sahara occidental”, ajoutant que le Front Polisario, soutenu par l'Algérie, devrait engager avec le Maroc “des négociations directes sans conditions préalables” et que les Etats-Unis se félicitent “de tous les efforts pour parvenir à une solution réaliste et réalisable à ce différend qui n'a que trop duré”.
Bien que la déclaration se garde d'endosser l'autonomie pour le Sahara occidental comme la meilleure option pour un règlement global, le fait de diluer les droits du peuple sahraoui, que lui confère le droit international, en appelant à des conclusions “réalistes” et “réalisables” à travers des positions de fait accompli, est précisément la tactique utilisée par Abrams contre les Palestiniens, bien illustrée dans les lettres qu'il a aidé à rédiger entre le président des Etats-Unis, George W. Bush, et le Premier ministre israélien Ariel Sharon, en avril 2004. (“À la lumière des nouvelles réalités sur le terrain... il est irréaliste de s'attendre à ce que les négociations aboutissent au retour complet et entier aux lignes de l'armistice.”). Mais pourquoi favoriser le Maroc ? Pour les initiés, Abrams est particulièrement proche des leaders du Maroc, un fait important dans une région où il est l'objet d'une profonde antipathie. De l'avis de plusieurs membres du gouvernement américain, dans le cadre d'une vision de la région en termes de “modérés” contre “les extrémistes”, le Maroc devrait être fermement enraciné dans le dénommé camp des modérés et comme un modèle de changement démocratique.
Le Maroc est l'un des rares pays arabes qui entretient d'étroites relations avec Israël (l'ex-Roi Hassen II du Maroc figurant parmi les premiers à établir des relations indirectes avec Israël et a finalement aidé les Egyptiens au moment de Camp David en 1978). Le Maroc a également un large programme de partage d'informations avec les Israéliens. De nombreux officiels israéliens ont été les hôtes du Maroc, y compris durant le pic de violence lors de la seconde Intifadha. Néanmoins, la monarchie tient encore à son titre “de gardien de Jérusalem du monde islamique” au sein de l'Organisation des pays islamiques.
La base opérative de l'initiative marocaine sur le Sahara occidental — qui propose l'autonomie en tant que point de départ des négociations plutôt qu'un résultat final du processus de paix — ne répond pas aux demandes constantes du Front Polisario pour un référendum d'autodétermination. Les officiels du gouvernement américain remportent une petite victoire lorsque, finalement, Abrams fera abandonner le soutien inconditionnel des Etats-Unis à l'initiative marocaine.
La politique américaine impulsée par Abrams est de soutenir l'ouverture de négociations sans conditions préalables entre les Marocains et le Front Polisario sur la base de l'initiative marocaine — quelque chose que le Polisario avait déjà rejetée. Les Etats-Unis vont donner au Polisario une période de réflexion de 60 jours durant laquelle il devra commencer les négociations avec l'initiative marocaine comme base de pourparlers.
En outre, les Etats-Unis vont ensuite appuyer les Marocains et leur initiative unilatérale et appuyer le Maroc dans tous les forums internationaux, bien que l'approbation de l'annexion par le Maroc, par le Conseil de Sécurité de l'ONU soit une rude bataille, en ce sens que certains membres sont des soutiens de la lutte du Polisario, tandis que d'autres dans le monde arabe et en Europe sont aux côtés du Maroc.
Avons-nous vraiment besoin d'Abrams et de l'Administration Bush pour créer un autre statu quo ? Ne laissez jamais un éléphant dans un magasin de porcelaine en lui offrant du temps.
C. E. S.
Directeur de programme à l'Institut du Moyen-Orient de Washington


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