La situation tarde à se décanter à Bagdad alors que l'opposition chiite se fait de plus en plus vive. L'annonce faite hier à Riyad, par le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, du départ du contingent américain stationné en Arabie saoudite depuis la guerre du Golfe de 1991, tout en mettant un terme à la longue entente américano-saoudienne, constitue également l'amorce du redéploiement de l'armée américaine dans les régions du Golfe et du Moyen-Orient. La présence militaire, dans le royaume saoudien, que les Américains ont toujours affirmé comme étant provisoire, tend aujourd'hui à devenir permanente au Qatar où les Etats-Unis ont édifié la gigantesque base d'El-Oubéid, à quelque trente kilomètres de la capitale Doha. Expliquant ce transfert, Donald Rumsfeld, qui se trouvait hier à Riyad, indique que «par consentement mutuel, les appareils qui étaient ici vont pouvoir partir. Ils partiront avec nos remerciements à l'Arabie saoudite pour sa coopération», affirme le ministre américain de la Défense. Voulant couper court aux rumeurs de divergences entre les deux pays, M.Rumsfeld souligne: «Nous n'avons pas de divergences de vues. Il ne faut pas croire ce qu'ont dit les journaux sur les divergences ou disputes». Il n'en reste pas moins que les relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite se sont nettement refroidies que, d'autre part Riyad se soit tenu en arrière-plan durant toute la crise irakienne, en sus du fait qu'elle s'est outre opposée aux frappes militaires contre l'Irak, n'a apporté aucune aide à Washington. Les retombées des attentats du 11 septembre 2001 ont fait que l'Arabie Saoudite a quelque peu perdu son aura auprès des Américains, les Saoudiens étant même soupçonnés de connivence avec les terroristes comme l'ont formulé les médias à l'encontre du royaume wahhabite. Sans doute que les Etats-Unis gagnent au change en transférant leur base opérationnelle dans le minuscule émirat du Qatar. En effet peu peuplé, politiquement stable, l'émirat présente des conditions optimum pour les Etats-Unis dans leur nouveau rôle de «parrain» du Moyen- Orient et de la mise en oeuvre de leur politique moyen-orientale induite par leur occupation de l'Irak, pays où la situation tarde à se décanter pour des administrateurs américains qui éprouvent quelques difficultés à maintenir un semblant d'ordre. D'autant plus que les manifestations organisées par les groupes d'opposition chiites se poursuivent sans discontinuer. Un important chef chiite, le mollah Abou Ahmed, a réitéré, hier à Bassora, que «les Américains doivent quitter l'Irak, leur présence ne se justifie pas», tout en dénonçant leur «ingérence» dans les affaires irakiennes. Insistant sur le fait que «l'avenir de l'Irak doit être entre les mains des Irakiens», le mollah rappelle que «les membres du Comité constitué en février à Salaheddine doivent former un gouvernement de coalition avant d'organiser des élections libres». Le congrès de Salaheddine au Kurdistan irakien avait élu un comité de six membres devant prendre la relève du régime de Saddam Hussein. Cependant, les Américains ne semblent plus envisager les choses sous cet angle, optant pour la direction directe du pays, tant par la nomination d'un administrateur civil «provisoire», le général à la retraite Jay Garner, que par la décision de créer des bases militaires permanentes en Irak. Outre cela, les divisions dont l'opposition irakienne a fait montre ces dernières semaines semblent l'avoir écartée en tant qu'alternative crédible de pouvoir à Bagdad. Cela d'autant plus que la montée en puissance de l'Asrii (Assemblée suprême de la révolution islamique irakienne) inquiète très fort les stratèges américains, à telle enseigne, qu'ils ont intimé à l'ayatollah Mohamed Baqer Al-Hakim, chef de l'Asrii, actuellement en exil à Téhéran, l'ordre de demeurer en Iran. Toutefois des sources proches du mouvement chiite indiquent que l'ayatollah est attendu à Bassora d'un jour à l'autre. Les forces d'occupation américaines éprouvent par ailleurs les pires difficultés à maintenir l'ordre et la sécurité dans un pays où le chaos semble régner en maître. De fait, ce problème reste entier d'autant que les militaires américains - la gâchette plus que jamais facile - tirent sans sommation sur les manifestants, comme ils le firent hier à Falloujah tirant sur une manifestation d'écoliers et d'étudiants, tuant, selon les sources, entre dix et quatorze personnes. Ainsi le malaise est perceptible alors que le fossé s'approfondit entre la population et les forces d'occupation. Tant bien que mal les Etats-Unis tentent d'organiser un pouvoir irakien de transition comme le montre la réunion qu'ils ont mise sur pied, lundi, avec quelque 250 représentants d'expatriés irakiens. Invité à prendre part à cette réunion, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait décliné l'invitation parce que «le rôle des Nations unies n'avait pas été clairement défini» a indiqué, dans un communiqué, le président en exercice du Conseil de sécurité le Mexicain, Alfonso Aguilar Zinser, M.Annan infligeant ainsi une rebuffade à Washington. Par ailleurs, le commandement central américain au Qatar (Centcom) a annoncé hier la reddition de l'ancien ministre irakien du pétrole, Amer Mohamed Rachid qui s'est rendu aux forces américaines. Ce responsable irakien figurait sur la liste des dirigeants irakiens recherchés. Il ne fait pas de doute que pour les forces d'occupation américaines la normalisation de l'Irak s‘avère plus ardue qu'ils ne semblent l'avoir prévue.