Bouguerra Soltani et Abdelmadjid Sidi Saïd sont des amis bien encombrants pour le gouvernement, qui ne sait pas s´il faut les compter parmi les alliés ou les adversaires politiques. En tout cas, cette fois, la contestation vient de l´intérieur même du sérail, l´opposition étant bien curieusement muette, mis à part Abdallah Djaballah qui garde le pied à l´étrier et fait piaffer sa monture, une monture dont les naseaux dégagent l´écume coléreuse des principes outragés. Voilà donc. Alors que le gouvernement, formé de membres plongés dans la gestion de leurs départements ministériels respectifs, gère le pays en liquidant les affaires courantes et donne l´impression de préparer dans la sérénité les projets de loi à présenter aux parlementaires absentéistes, il se voit rappeler à l´ordre par deux cerbères à grande gueule : Soltani et Sidi Saïd. Le premier, en gardien du temple pour les questions liées aux constantes nationales refuse qu´on revoie le statut de la femme, tout en exigeant la levée de l´état d´urgence et un référendum sur la réconciliation nationale. Le second, en tant que patron de la Centrale syndicale, s´est érigé gardien du temple pour les questions liées à la sauvegarde de la rente et du secteur économique public, même celui des canards boiteux, et s´oppose de toutes ses forces au projet de loi sur les hydrocarbures. A eux deux, et en l´absence d´un véritable débat transparent sur ces questions qui intéressent au demeurant toute la nation, ces deux trublions occupent tout l´espace de la scène politique nationale. Une scène à géométrie variable. En effet, Sidi Saïd balance entre soutien à Bouteflika et opposition à Chakib Khelil, entre son amitié à Ahmed Ouyahia et sa non moins inimitié à Hamid Temmar, dont on dit qu´il prend des cours d´arabe à Beyrouth pour revenir en force à la tête d´un important département ministériel. Soltani, lui, dit en gros ceci: «Nous sommes contre la modification du code de la famille mais il n´est pas question pour nous de quitter l´alliance présidentielle. Nous ne faisons pas dans la vente concomitante.» Traduction: c´est Bouteflika qui doit reculer. Le bruit avait couru en effet que le MSP allait conditionner son maintien au gouvernement par le retrait du projet de révision du code de la famille. Il nous apprend donc qu´il a décidé de séparer ces deux questions, ou plus exactement, il sait que c´est à l´intérieur du gouvernement qu´il peut défendre et faire passer son idéologie. Pas folle la guêpe ! Mais si tout le monde y trouve son compte, le pauvre quidam de citoyen peut demander: «Mais de quoi vous plaignez-vous Madame la marquise?» Ahmed Ouyahia lui-même tient un double discours, essayant de s´adapter à l´auditoire et au contexte, voire au rapport des forces. D´un côté, il se présente comme le chantre du libéralisme économique et défend mordicus les audacieuses réformes sociales, d´un autre il donne à Soltani et à Sidi Saïd les arguments qui les caressent dans le sens du poil. Ainsi va l´Algérie. Si des alliances stratégiques s´étaient constituées avant le scrutin du 8 avril, en deux camps principaux, entre les partisans du candidat-président et les autres, l´après-8 avril voit apparaître d´autres coalitions, à l´intérieur du camp des partisans du président réélu; chacun défendant son territoire, ou son beefsteak, comme on voudra. Ce sont les projets du code de la famille et le projet de privatisations qui cristallisent les alliances et les contre-alliances. Pendant ce temps, le président de la République, qui n´a pas consommé sa période de grâce, refuse de descendre dans l´arène, laissant les autres aller au charbon. La partie de jeu d´échecs qu´il a entamée se joue à un autre niveau.