Lors de la formation d´une précédente équipe gouvernementale, le président de la République avait répondu à un futur ministre qui avait hésité à intégrer l´Exécutif en affirmant qu´il n´était pas préparé à une telle fonction : «Etre ministre est un métier comme les autres. Vous apprendrez!». Aujourd´hui, M.Bouteflika déclare dans une interview au journal La Gazette: «Je ne peux parler en ce qui concerne les journalistes de manière générale, ni d´adeptes ni d´adversaires. Ils font leur métier comme je fais le mien». Le moins qu´on puisse dire est que M.Bouteflika sait de quoi il parle. Ministre de la Jeunesse et des Sports à 25 ans dans le premier gouvernement au lendemain de l´indépendance, il dirigea la diplomatie algérienne pendant treize ans, soit de 1965 à la mort de Houari Boumediene en décembre 1978, dans un contexte de guerre froide, de deux guerres israélo-arabes au Proche-Orient entrecoupées de périodes de ni guerre ni paix, de nationalisation des hydrocarbures, de montée en puissance du groupe des Non-alignés. Le moins qu´on puisse dire est que le jeune Bouteflika avait la capacité d´anticiper sur les événements. C´est ainsi qu´envoyé par le chef d´état-major général, le colonel Houari Boumediene, à Truquant, en décembre 1961, pour sonder les prisonniers d´Aulnoy sur leurs intentions par rapport aux futures institutions de l´Algérie indépendante, avec une préférence pour Mohamed Boudiaf, le «très avisé» capitaine Bouteflika (l´expression est de Mohamed Benchicou dans son livre Bouteflika, une imporsture algérienne), eut l´inspiration de proposer plutôt à Ahmed Ben Bella, qui accepta le poste de futur chef de l´Etat. Intervenant sur la chaîne El jazeera il y a quelque temps, l´ancien président Ahmed Ben Bella lui reconnaît ces mêmes capacités d´anticipation: «En 1965, dit-il, il avait été plus rapide que moi. C´est la raison pour laquelle je reconnais en lui un grand chef d´Etat et que j´ai voté pour lui.» Le métier, le mot est lâché. C´est sans doute dans le même sillage que le président a tancé certaines entreprises publiques en leur reprochant d´être l´Etat dans l´Etat. Il leur demande par conséquent de retourner à leurs missions d´entités économiques en ne se mêlant plus des fonctions régaliennes de l´Etat, et surtout de ne plus creuser l´endettement du Trésor public en contractant des emprunts au nom de la collectivité nationale. Revenons à ce qu´il dit à propos de la presse nationale : pour lui, «les journalistes et les médias sont des intermédiaires entre le pouvoir et la société, indépendants de leur rôle d´information et d´éducation». Il n´emploie pas les expressions habituelles de 4e pouvoir ou de contre-pouvoir, cependant lorsqu´il dit: «La presse d´opposition critique ma politique et en souligne tous les points faibles» reconnaissant qu´elle joue «en cela un rôle que j´attends d´elle, car sans cette critique il ne m´est pas possible d´ajuster mes programmes et rectifier mes orientations». Plus loin, il invitera également les journalistes à respecter les principes de déontologie. Sans leur reconnaître donc un rôle de contre-pouvoir, le président avoue prendre en compte leurs critiques. Après les déclarations ou les clarifications du président, on peut tout de même noter que beaucoup de questions restent en suspens, notamment le gel inexpliqué du projet de loi sur l´information et le fameux code d´éthique et de déontologie. Il aurait été bon, puisque le chef de l´Etat aborde cette question de la déontologie, qu´il aille plus loin dans son analyse, d´autant plus qu´il n´existe pas en Algérie ce qu´on peut appeler une presse d´opposition (c´est-à-dire affiliée à des partis d´opposition), mais des journaux indépendants et d´autres qui sont publics. La nuance est de taille, donnant au paysage médiatique algérien une information contrastée qui fait sa richesse. Reste, le dernier point, celui de la dépénalisation du délit de presse, qui peut aller de pair avec un code d´éthique et qui peut déterminer tout le reste.