La nouvelle donne crée un précédent dans la pratique politique nationale. C'est la première fois dans l'histoire de l'Algérie pluraliste qu'un chef de parti qui ne dispose pas de majorité au Parlement est désigné à la chefferie du gouvernement. Un état de fait qui n'a pas échappé aux observateurs. Ces derniers estiment en effet que, contrairement aux autres changements opérés au sein de l'Exécutif, le dernier en date appelle différents scénarios. Le premier cas de figure, sans doute le plus catastrophique, mais aussi, le moins probable, a trait à un durcissement de la position du FLN qui rejettera systématiquement le programme de la nouvelle équipe. Largement majoritaire au sein de l'APN, le parti de Benflis peut très bien voter contre les propositions d'Ouyahia qui devra se représenter devant la même assemblée pour un deuxième examen. Un autre refus des députés FLN ouvrira grandes les portes à une crise institutionnelle sans précédent et conduira automatiquement le chef de l'Etat à décider la dissolution de l'APN. Des élections législatives anticipées seront convoquées au plus tard à la rentrée sociale, avec toutes les conséquences que cela suppose sur la marche des institutions de la République. Ces dernières connaîtront un gel quasi total et le pays entrera dans une phase de paralysie très préjudiciable, autant pour son image de marque à l'étranger qu'au niveau de la stabilité interne. Ce scénario-catastrophe est jugé peu probable par les observateurs du fait de la nature du FLN, dont le chef de file a affirmé, dans sa déclaration rendue publique hier que son parti «appréhendera cette situation avec retenue et esprit de responsabilité». Une autre manière de dire que la formation politique majoritaire est prête à négocier avec le nouveau responsable de l'Exécutif. Ce qui ouvre la voie à un autre schéma susceptible de se concrétiser dans un proche avenir. Celui-ci (le schéma) serait que Ouyahia prenne langue avec Benflis pour la constitution de son équipe gouvernementale. Le secrétaire général du FLN fort du poids de son parti à l'Assemblée populaire nationale, à même de bloquer l'action de l'Exécutif à tout moment, serait tenté de placer la barre très haut et réclamer plus de 50% des portefeuilles ministériels, avec en prime des postes de souveraineté. A ce niveau, la négociation a toutes les chances d'être très serrée entre les deux hommes, d'autant que Ouyahia ne souhaiterait sans doute pas avoir à supporter des ministres qui prendraient leurs ordres d'ailleurs et capables de claquer la porte du gouvernement à tout moment. Une telle éventualité donnerait à l'équipe gouvernementale un équilibre précaire, prêt à se rompre à tout moment. Le nouveau responsable de l'Exécutif n'accepterait un pareil deal que forcé, au risque de voir certaines contradictions déteindre sur la marche de l'Exécutif. En fait, le scénario qui arrangerait le plus Ouyahia serait que son prédécesseur consente à revoir à la baisse le quota qui devrait revenir au FLN dans le gouvernement et faire profil bas, tout en s'attelant à la préparation du congrès extraordinaire du parti, ce dernier étant le seul habilité à désigner le candidat du FLN à la prochaine élection présidentielle. Cette probabilité n'est, en fait, pas à écarter, sachant que le souci premier du vieux parti est justement la réorganisation de ses rangs aux fins de consacrer le principe de son autonomie, vis-à-vis du pouvoir, et apparemment chère à sa nouvelle direction. En fait, avec la nomination d'Ouyahia, si le malaise entre la présidence de la République et la chefferie du gouvernement est résorbé, il y a lieu de noter que la crise en question change de nature pour se transformer en guerre (ouverte ou larvée) qui opposera désormais le pouvoir législatif à l'Exécutif. Le dénouement de cette nouvelle passe d'armes qui s'annonce, dépendra de l'esprit de responsabilité des uns et des autres, ainsi que des talents de manoeuvrier de l'actuel locataire du Palais du gouvernement.