En feuilletant un almanach, on est frappé de trouver côte à côte ces deux dates : l´année 2005 et l´année 1426, soit six siècles d´écart entre le calendrier grégorien et le calendrier hégirien. Cela implique-t-il pour autant un retard de la civilisation islamique sur la civilisation chrétienne? A la réflexion, on se dit qu´à sa naissance, l´islam avait six siècles d´avance sur les autres religions monothéistes (christianisme et judaïsme) parce qu´il ne les remettait pas en cause (c´était des gens du Livre) mais qu´il les complétait. Il ne les détruisait pas, mais se substituait à elles, en leur apportant l´héritage grec, égyptien, perse, hindou, dans tous les domaines de la science, des mathématiques, de la médecine, de l´astronomie, héritages qu´il faisait siens et qu´il contribuait à faire progresser. Il était en quelque sorte une courroie de transmission entre ce qu´il y avait de mieux dans le monde ancien. Dans la même foulée, on peut dire que la philosophie arabe des Lumières, que ce soit à Bagdad ou à Cordoue, avait dix siècles d´avance sur la Renaissance européenne et le XVIIIe siècle. Plusieurs siècles auparavant, Jésus avait refusé de conduire la résistance juive à l´occupation romaine car l´objectif du christianisme n´était pas de s´attaquer de front à la puissance romaine, mais de la pénétrer de l´intérieur, de soumettre ses croyances basées sur la mythologie et le paganisme à la foi en un Dieu unique. Rome n´a-t-elle pas fini par devenir la capitale de la chrétienté ? Du coup, le christianisme a intégré et ingéré tout l´héritage civilisationnel du monde antique romain, ainsi que les héritages copte, assyrien, phénicien ou cananéen. Refermons cette parenthèse pour remarquer que pour ce qui concerne l´islam, l´histoire a tourné. Et l´islam qui avait à sa naissance six siècles d´avance sur le christianisme s´est laissé distancer. Le monde islamique d´aujourd´hui a accumulé six siècles de retard par rapport au monde occidental. Comment cela a-t-il été possible?On peut répondre que le pouvoir use. L´habitude du confort vous installe dans l´oisiveté et un certain conformisme. On s´enferme dans sa tour d´ivoire, où l´on multiplie les mesures de protection et qu´on transforme en citadelle. On dort sur ses lauriers. Quelque part, Ibn Khaldoun a raison, avec sa théorie de la açabyia. Par un survol intellectuel un peu court, on peut dire que la surenchère intégriste et terroriste de Ben Laden surprend et secoue la monarchie wahhabite. Car l´histoire est tout sauf statique. Elle bouge tout le temps. C´est comme la tectonique des plaques qui modifie en permanence la carte du globe. Quelque part, ont peut dire que peu de choses distinguent islam, christianisme, judaïsme. La foi est la même. C´est la croyance en un Dieu unique. Ce qui les différencie, c´est toute la vulgate et l´idéologie qu´il y a autour , l´apparat, les pratiques, les rites, ou la...qibla. La manière de s´habiller, de se nourrir, de se prosterner pour vénérer l´Unique. Mais l´Unique, lui, est unique. Ce n´est pas une simple lapalissade. Les trois religions sont nées au désert, lieu de solitude, de méditation, de privation, de résistance à la soif et à la chaleur, d´entrée en communication avec le mystère et le surnaturel. Il y a aussi un dynamisme et une dialectique de l´histoire. Une avancée qualitative ne se fait que par la remise en cause de ce qui précède. C´est un peu comme le numérique, qui déclasse l´analogique. Lorsque la politique et l´idéologie prennent le pas sur la foi, la religion est alors détournée de sa vocation première, pour devenir un instrument de répression de l´esprit critique et d´installation de l´inquisition. Les ténèbres ne sont pas loin. Heureusement que d´autres forces, underground, arrivent alors, portées par des lames de fond irrépressibles et exprimant une nouvelle vision du monde.