La confiance dont fait montre la puissance occupante américaine masque à peine les difficultés qu'elle rencontre dans l'après-guerre. Conquis, occupé, l'Irak est aujourd'hui un pays soumis au bon vouloir de la puissance occupante et aux tractations des nouveaux prédateurs qui ont trouvé dans l'Irak un moyen de sortir des rangs sans trop de frais. Washington, maître d'oeuvre du nouvel ordre qui se met en place, décide seul de l'avenir d'un pays soumis aux enchères. C'est surtout cet aspect désagréable qui émerge le plus de la manière dont l'Irak semble devoir être partagé entre les conquérants américains et britanniques et ceux qui ont su se montrer prévenants aux exigences du nouvel imperium. Cependant, s'il a été facile de vaincre un pays militairement en déliquescence, la Maison-Blanche, ou plutôt le Pentagone, auquel le président Bush a confié la reconstruction de l'Irak, éprouve maintes difficultés à mettre les choses en ordre et - à défaut de remettre le pays au travail - commencer effectivement à prendre en charge les besoins d'un peuple aujourd'hui exsangue. Près d'un mois après la chute de Bagdad et du régime de Saddam Hussein, l'impression qui se dégage est qu'il n'existe aucun plan d'urgence tant pour ce qui est de l'immédiat après-guerre que, plus largement, pour pallier les incertitudes, inévitables, induites par un changement aussi brutal de régime. De trois secteurs, du découpage de l'Irak qui a mobilisé les analystes ces derniers jours, on semble s'acheminer maintenant vers la constitution d'un quatrième secteur (Sud) confié au Danemark. L'Irak est ainsi devenu une sorte de «gâteau» dont des parcelles sont offertes aux plus méritants des pays ayant soutenu l'opération américano-britannique «liberté pour l'Irak». Aussi, la Pologne et le Danemark ont-ils gagné la confiance du nouveau maître du monde, devenant ses auxiliaires dans l'occupation de l'Irak. Washington qui veut, également, donner une couleur internationale à cette occupation d'un pays naguère libre, a recours aux services des polices d'une dizaine de pays prêts à contribuer au maintien de la sécurité en Irak, comme en atteste la réunion de Londres, la semaine dernière, sous les auspices du ministre de la Défense, Geoffrey Hoon. Ce qu'il faut toutefois relever est que cette participation internationale se fait hors d'un mandat régulier du Conseil de sécurité de l'ONU. Plus grave, il y a comme une rupture dans le consensus sécuritaire international, dans la mesure où les nouveaux «Casques bleus» qui ne relèvent pas de l'ONU, mais agissent directement sous l'autorité des Etats-Unis et portent les couleurs de la bannière étoilée, les couleurs américaines. Un nouveau pas est ainsi franchi dans le délestement des Nations unies de leurs prérogatives. Dès lors quelle place sera celle de l'ONU dans un Irak aujourd'hui phagocyté par les Etats-Unis, et demain dans les dossiers qui interpellent la communauté internationale? C'est bien cela le paradoxe, les Nations unies (organisation représentative des pays du monde) doivent attendre le bon vouloir des Etats-Unis, que Washington leur indique les domaines dans lesquels l'ONU pourrait intervenir. Aussi, dans ces conditions pourquoi maintenir l'ONU, mise en situation fausse quand l'hyperpuissance américaine prend sur elle de diriger le monde, décide de tout devant l'impuissance générale. Ainsi, dorénavant seuls les Etats-Unis, leur position omnipotente le leur permettant, auront à gérer les affaires du monde à leur convenance et à celle des valeurs et intérêts américains. L'Irak, à son corps défendant, est ainsi devenu le test exemplaire dans une lutte, certes feutrée, d'où sortira le nouvel ordre impérial qui s'imposera aux Nations. Dans cette lutte, devenue d'arrière-garde, bien que commencée avant la guerre contre l'Irak, des grandes puissances militaires et économiques comme la Russie, la France, la Chine ou l'Allemagne - qui ont tenté de s'opposer à l'hégémonisme américain et à faire observer un minimum de règles de jeu, notamment par la prééminence de l'ONU - sont aujourd'hui isolés et ne parviennent plus à se faire entendre dans un monde subjugué par la puissance américaine et surtout désireux de ne pas manquer les miettes que les nouveaux maîtres veulent bien leur donner en partage. Il ne faut pas s'y tromper, en Irak occupé, tous les postes de responsabilité sont le fait de militaires, de diplomates ou de hauts fonctionnaires américains, à l'instar du général à la retraite, Jay Garner, en charge de l'Office de la reconstruction et de l'assistance humanitaire en Irak (Orha), le général Tommy Frank, chef du Commandement central américain pour l'Irak, le diplomate Zalmay Khalilzad, ambassadeur spécial, désigné par le président américain, pour organiser «la transition politique». A ces responsables viendra s'adjoindre prochainement un superadministrateur en la personne de l'ancien responsable, au Département d'Etat, de la lutte antiterroriste, Paul Bremer, dont la nomination serait imminente. Même les fidèles alliés britanniques doivent se contenter des places d'adjoints que les Etats-Unis veulent bien leur céder. Face à une ONU aujourd'hui déchargée de ses responsabilités, à des pays encore sous le choc du passage en force américain, et à ceux qui ont déjà accepté le fait accompli de cette nouvelle donne, imperturbable, le nouvel ordre américain est en marche.