Le chef de la diplomatie américaine dénie au camp de la paix toute responsabilité dans le futur de ce pays. Dans un entretien accordé à la BBC, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, est revenu sur les péripéties de la guerre contre l'Irak, saisissant l'opportunité de cette interview pour, semble-t-il, tracer les frontières qui, selon lui, devaient régir dorénavant le futur de l'Irak. Ainsi, d'emblée, le chef de la diplomatie américaine affirme que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne auraient «la responsabilité d'occupation» en Irak, déniant au camp de la paix - dont les porte-parole les plus agissants sont la France, l'Allemagne et la Russie - tout rôle dans l'après-Saddam Hussein, et plus généralement à tous ceux qui n'ont pas «pris part au conflit». Très clair dans son propos Colin Powell indique: «Ce n'est pas un rôle pour la France, l'Allemagne ou la Russie», précisant: «C'est nous les autorités libératrices. Nous allons avoir des responsabilités d'occupation», ajoutant: «Il ne s'agit pas de chasser qui que ce soit. Il s'agit de faire les choses dans l'ordre». Plus prosaïquement, le secrétaire d'Etat américain estime que le «butin» irakien revient de droit à ceux qui sont partis au charbon, pour le reste Dieu saura faire le partage. De fait, abattant son jeu, Colin Powell confirme ainsi, quasi officiellement, ce que les analystes pressentaient: l'occupation d'un pays dépositaire d'une fabuleuse richesse énergétique (avec 113 milliards de barils de pétrole prouvés, l'Irak vient juste derrière l'Arabie Saoudite). Les propos du chef de la diplomatie américaine peuvent ainsi être interprétés comme une réponse aux avances faites par les Européens lors du sommet de Saint-Pétersbourg. Dans ce même entretien à la BBC, Colin Powell, dans des menaces à peine voilées, s'en prend également à la Syrie, qu'il accuse d'avoir renseigné les Irakiens, et, entre autres, d'avoir facilité la fuite de hauts responsables irakiens aujourd'hui recherchés. Colin Powell, usant du ton qui sied à l'auxiliaire du maître du monde, met ainsi en garde Damas en affirmant: «Nous pensons qu'il ne serait pas du tout sage si soudainement la Syrie devenait un havre de paix pour toutes ces personnes qui devraient être traduites en justice et qui essaient de quitter Bagdad.» Et de rappeler: «La Syrie a été pendant longtemps un sujet d'inquiétude (...)», précisant au passage: «Nous avons désigné la Syrie comme un Etat qui soutient le terrorisme et nous avons discuté de cela avec les Syriens à de nombreuses reprises». Le secrétaire d'Etat américain conclut, par l'affirmation que la Syrie se trouve devant «un choix crucial». De fait, Damas, soumis à de très fortes pressions, est sommé de «coopérer» avec les forces d'occupation de l'Irak. Et c'est George W.Bush lui-même qui, dans une déclaration faite vendredi, à Washington, met les dirigeants syriens au pied du mur en indiquant: «Nous attendons une totale coopération» de la part de Damas. Affirmant que les personnes recherchées se trouvent en Syrie, le président américain se comporte comme si la loi et le droit, c'est lui, lorsqu'il affirme: «Nous comptons sur les dirigeants de ce pays pour les remettre entre de bonnes mains.» En fait, l'état-major politique et militaire américain ne cache plus ni son jeu ni les ambitions qu'il a pour l'Irak, sommant, en revanche, la communauté internationale de coopérer et pour ainsi dire de faciliter la mainmise américaine sur ce pays. Toutefois, sur le terrain, les choses ne semblent ni aussi claires ni aussi évidentes que l'on veut le faire croire, et les marines américains, cinq jours après la chute du régime de Saddam Hussein, éprouvent les pires difficultés à «sécuriser» la capitale et les autres régions sous occupation ou des «poches de résistance» subsistent. De fait, la mise à sac de Bagdad - par sa population - sous le regard incrédule du monde, et celui indifférent des occupants américains et britanniques, met en exergue l'immensité de la tâche de sécuriser un pays aussi vaste que l'Irak. En outre, il y a le fait indubitable que les stratèges américains aient sous-estimé les difficultés qui les attendaient une foi l'Irak «libéré» et «normalisé». Washington, qui s'est empressé d'évincer l'ONU (reléguée à la seule besogne de l'aide humanitaire), de retirer toute responsabilité au camp de la paix dans l'Irak de l'après-Saddam, est aujourd'hui confronté à une réalité que l'état-major coalisé était loin d'avoir imaginé ou inclus dans ses plans d'invasion et de pacification de l'Irak. Quoique les Etats-Unis donnent l'impression d'avoir marqué leurs frontières, il n'en reste pas moins que les coalisés, qui ont eu besoin de l'aide des pays du Golfe et de la Turquie, notamment, pour attaquer l'Irak, auront encore plus besoin de l'ONU et de la communauté internationale pour redonner espoir à un peuple meurtri. Une évidence est à prendre en compte: les coalisés, qui ont, certes, gagné la guerre contre le régime de Saddam Hussein en faisant fi de l'opposition de la communauté internationale, auront beaucoup plus de mal à gagner la paix sans la coopération effective de cette communauté internationale et des Nations unies.