Ils veulent faire adopter par le Conseil de sécurité de l'ONU une résolution qui légitime le fait accompli. Le président américain George W.Bush avait appelé, il y a quelque jours, à la levée des sanctions imposées à l'Irak depuis 1990. De fait, concrétisant cet appel, les Etats-Unis avaient annoncé, mercredi, la levée «immédiate» d'une partie des sanctions économiques qu'ils imposaient à l'Irak depuis treize ans. Enfonçant le clou, Washington a préparé pour l'ONU un texte de résolution sur mesure qui, une fois adopté, tout en justifiant a posteriori la guerre, lui donnera la mainmise sur l'Irak. Dans ce contexte, le projet de résolution devait être déposé dans la soirée d'hier auprès du Conseil de sécurité de l'ONU. Le dépôt de ce texte a été, en outre, accompagné de fortes pressions de Washington sur les membres du Conseil, dans l'optique de la faire adopter le plus rapidement possible, à tout le moins, dans le courant de la quinzaine à venir. De fait, le projet américain sera soumis à la discussion dès aujourd'hui parmi les membres du Conseil. S'il est adopté, le projet de résolution américain, permettra de soulager une «économie irakienne exsangue», estiment les observateurs, mais aura surtout l'avantage d'ouvrir la possibilité, aux Etats-Unis, de gérer à leur convenance le pétrole irakien motif principal de la guerre programmée contre l'Irak. Essentiellement à option économique, le projet américain prévoit la création d'un «Fonds d'assistance à l'Irak» qui sera alimenté «par les revenus pétroliers placés sous l'autorité des puissances occupantes (Etats-Unis et Grande-Bretagne)». Ce fonds, est-il indiqué, «devra aider à la reconstruction des infrastructures irakiennes et à la poursuite du désarmement de l'Irak». Le texte précise en outre, que «toutes les exportations de pétrole, produits pétroliers et gaz naturel irakiens devront être réalisées selon les pratiques prévalant sur le marché international». Aucun rôle n'est prévu pour l'ONU pour l'après-guerre, si ce n'est celui de chambre d'enregistrement (et d'adoption) de textes que présentent les puissances occupantes de l'Irak. De fait, l'ONU n'est, en réalité, sollicité que pour donner légalité et légitimité aux opérations que les Etats-Unis seront amenés à entreprendre en Irak dans l'avenir. Car, non seulement l'ONU est ainsi marginalisée, mais Washington a encore trouvé le moyen de l'affecter à un emploi subalterne. Pour bien montrer que l'Irak est aujourd'hui une affaire qui relève des Etats-Unis, l'ambassadeur américain auprès de l'ONU, John Négroponte, affirmait jeudi, que les Etats-Unis, ne voyaient, «dans un avenir prévisible aucun rôle en Irak pour les inspecteurs en désarmement de l'ONU» justifiant la chose par le fait que «c'est la coalition (américano-britannique) qui a pris la responsabilité de désarmer l'Irak». Hier, dans les coulisses de l'ONU, ce sont le projet de résolution américain et la levée des sanctions américaines contre l'Irak qui faisaient l'objet de discussions. La France et la Russie demeurent très circonspectes, tenant plus que jamais à ce que la levée des sanctions contre l'Irak se fasse dans les règles du droit international et conformément à la Charte de l'ONU, préconisant, pour ce faire, un retour rapide des inspecteurs en désarmement onusien, seuls - aux yeux de Moscou et Paris - à même d'établir la légalité du désarmement de l'Irak et, partant, donner au Conseil de sécurité de lever les condamnations infligées à Bagdad. Cependant, Paris, indique qu'il ne s'oppose pas à une «suspension» des sanctions dans l'attente de leur levée définitive par l'ONU, pour laquelle il réclame toujours un rôle central. Rentrant d'Irak, où il a séjourné durant trois jours, le commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire, Paul Nielson, a fait part à la télévision danoise DRI de son scepticisme, indiquant: «Je crois que les Etats-Unis sont en train de devenir membres de l'Opep. Ils ont la mainmise sur le pétrole irakien, et il est très difficile d'arriver à une conclusion cohérente d'un autre point de vue». Il affirma, par ailleurs, «douter des intentions des Américains quant à l'avenir de l'Irak», estimant, en outre, «peu réaliste la promesse des Etats-Unis de se retirer de ce pays», excipant de la volonté des Etats-Unis à tenir l'ONU à l'écart, soulignant: «Cette mauvaise volonté pour donner aux Nations unies un rôle réel, véritable, légal et bien fondé témoigne d'un langage d'une certaine clarté». De fait, de ce point de vue, les Etats-Unis ont toujours fait preuve de franchise ne cachant pas en vérité leurs desseins sur l'Irak. Au plan politique, les discussions interirakiennes se poursuivent toujours sans qu'elles donnent l'impression d'avancer, quoique le chef du Congrès national irakien, Ahmed Chalabi, ait annoncé, hier, l'élargissement du comité des «cinq» à deux autres personnalités représentant le parti islamique Ad Daawa, et la composante sunnite, en la personne de Nassir Kamel Chadersi. Notons toutefois que le Pentagone a annoncé, hier, se réserver le droit de «limoger» toute personnalité nouvellement nommée et dénoncée en tant qu'ancien «responsable du régime déchu». Une manière de rappeler aux «politiques» irakiens que leur marge de manoeuvre demeure très étroite et sous la surveillance des Etats-Unis. En marge de ces consultations interirakiennes, il a été annoncé le retour, probablement aujourd'hui, de l'ayatollah, Mohamed Baqer Hakim, chef de l'Asrii (Assemblée suprême de la Révolution islamique irakienne) en exil depuis 23 ans en Iran.