L´initiative du pouvoir cubain de restaurer les biens de l´écrivain américain Ernest Hemingway peut se présenter sous plusieurs aspects: d´abord c´est avant tout un hommage à cet immense écrivain épris de liberté qui a hanté l´île vingt et une années durant et qui a marqué sa sympathie pour les barbudos de la Sierra Maestra. Ensuite, c´est une main, une fois de plus, tendue vers le géant américain qui entretient depuis quarante-cinq ans un embargo inhumain qui asphyxie le pauvre peuple cubain. Enfin, c´est une opération de prestige propre à attirer le tourisme et à restaurer l´image extérieure d´un pays dont le «lider maximo» a atteint l´âge limite d´une retraite bien méritée. Cette louable initiative, qui consiste à restaurer les lieux fréquentés par une célébrité disparue il y a quarante-cinq années, nous interpelle sur la sauvegarde d´un patrimoine immobilier qui possède un grand pouvoir de nostalgie sur les êtres amoureux des lettres, des arts et des héros. «Objets inanimés, avez-vous donc une âme. Qui s´attache à notre âme et la force d´aimer...» disait ce grand poète romantique heureux de retrouver les objets communs à lui et à l´être aimé qui n´est plus là. «Le souvenir est un poète», disait l´autre... Sous nos latitudes on s´attache plus au culte des walis (non pas les préfets mais les marabouts) dont la vie n´a été qu´un exemple de piété et une conduite honorable envers leurs concitoyens, leur religion et leur patrie. Tel wali, (je ne citerai pas de nom de peur de porter une étiquette supplémentaire qui m´enverrait directement vers un homme politique que je respecte et dont je partage beaucoup de points de vue sur la situation de l´heure) est honoré parce qu´en plus de sa piété et de son humilité, il a fait preuve d´une grande sagesse et d´une rare éloquence empreinte de poésie et donc pu guider par ses conseils, ses fables, ses maximes et orienter toute une génération en plein désarroi suite à une invasion coloniale bouleversante... Tel autre wali est honoré pour sa conduite héroïque face à l´envahisseur et ses extraordinaires faits d´armes le confinent à la légende. Un autre beaucoup plus humble, outre sa probité proverbiale, a évité un bain de sang, en réconciliant deux familles dont une séculaire vendetta a éclairci les rangs... Un autre par sa sagesse a adouci la dictature d´une famille régnante... On pourrait citer à l´infini ces exemples qui illustrent la vie de simples êtres humains dont le symbole qui leur a survécu n´est qu´un humble mausolée où viennent se recueillir et demander des miracles, des foules de désespérés... Evidemment, les exégètes, ceux qui savent lire entre et même derrière les lignes, ont vite opéré un raccourci saisissant : «les marabouts ne seraient qu´une survivance du culte chrétien», qui jadis, a naïvement tenté de s´imposer à une population païenne. Ne peut-on pas interpréter le maraboutisme comme d´abord un hommage éternel à des hommes qui ont symbolisé les valeurs profondes auxquelles s´est attaché un peuple? N´est-ce pas aussi une preuve flagrante de l´échec ou tout simplement de l´absence d´hommes politiques capables de répondre à l´attente des masses?