Jadis, chaque ville, chaque quartier ou chaque village avait une âme, une «personnalité» si l´on ose s´exprimer ainsi. Cette identité était due en général à l´architecture, au plan de masse des constructions qui obéissaient soit à la politique d´aménagement de l´espace urbain, soit à la tradition en cours quand il s´agit de villages perdus dans la montagne. Chaque entité s´enorgueillit de sa particularité: un monument, une fontaine, un site imprenable, un panorama unique qui font faire des détours aux touristes en mal de pittoresque. Mais ce dont s´enorgueillit le plus l´agglomération, c´est d´avoir donné naissance ou hébergé quelque temps une célébrité: des plaques commémoratives ou des statues sont érigées à la gloire de ce personnage qui a tiré de l´anonymat l´agglomération. Et quand la gloire du personnage est disproportionnée à la taille du pâté de maisons qui l´ont vu naître, la fierté des habitants en est décuplée. C´est la visite de la star mondiale du football, sport-roi ou opium du peuple qui a inspiré cette chronique. En dehors du fait que beaucoup de personnalités politiques vont essayer de récupérer, à leur profit, la renommée mondiale de ce fils d´émigré qui a brillé uniquement par son talent, son fair-play et surtout par son «nif» dans lequel se reconnaissent ceux qui auraient pu être ses compatriotes, il faut remarquer que le chef de l´Etat, Abdelaziz Bouteflika, en invitant Zidane, ne fait que renouer avec sa jeunesse. Au début de sa carrière politique, n´était-il pas le premier secrétaire d´Etat à la Jeunesse et aux Sports qui avait honoré la glorieuse équipe du FLN? Pour en revenir à l´accueil populaire fait à Zidane, il faut souligner que c´est, avant tout, un hommage rendu à l´enfant qui n´est pas né ici mais qui a gardé un contact constant avec ses racines. Son comportement dans sa vie de tous les jours est en harmonie avec sa carrière sportive. Il faut imaginer la fierté du petit village perdu dans la montagne qui va accueillir le fils d´un de ses fils. Cette fierté est égale à celle du père qui l´accompagne dans ce pèlerinage, ce retour aux sources de l´authenticité. Dans ce petit village, où la vie était si rude que la plupart de ses enfants ont dû s´expatrier pour survivre, les rancunes séculaires entre les familles, les rivalités se sont tues pour faire place à un sentiment de solidarité dans la gloire. Combien de fois, le père de Zidane a-t-il raconté à son fils prodige les conditions dans lesquelles il a grandi? Combien d´anecdotes où les noms des lieux-dits ont enflammé son imagination? Maintenant, le père auréolé de la gloire du fils pourra servir de guide touristique à travers les ruelles rocailleuses du village. Bien sûr, le village n´est plus le même: le béton, comme partout ailleurs, a bouffé le paysage et dénaturé l´identité du village. «Avant, il y avait ici...», sera une formule qui reviendra souvent dans le discours du père... Quoi qu´il en soit, la gloire du fils rejaillit sur tout le peuple. On aimerait bien recevoir demain en grande pompe d´illustres Algériens qui ont réussi, sans avoir triché avec les impôts, détourné l´argent des contribuables...On aimerait bien accueillir en fanfare un prix Nobel de la physique ou de la chimie, un prix Nobel de la littérature ou bien, tout simplement, un membre de l´Académie française... Quant au prix Nobel de la paix, on le recevra peut-être à la fin du troisième plan quadriennal de la réconciliation nationale.