C´est désespérant, voire même ridicule qu´un pays, où le cinéma est moribond depuis plusieurs années déjà, se mette à organiser un festival de cinéma arabe par-ci, un festival de cinéma amateur par-là, un ate-lier de cinéma ailleurs, des journées cinématographiques de temps en temps...Quoi? Pour quel cinéma arabe? Pour quel cinéma algérien dont l´essentiel mendie des fonds à l´étranger pour ne pas mourir tout à fait? Pour quel public qui a depuis longtemps déjà déserté des salles désaffectées, transformées en «fast-foods» ou en salle des fêtes ou tout simplement livrées au cinéma né sous X... Que n´impulse-t-on d´abord l´activité des diverses cinémathèques pour attirer un nouveau public avec des films classiques que la patine du temps rend encore plus séduisants! Que n´ouvre-t-on de nouvelles salles pour éduquer une jeunesse avide d´ouverture sur l´extérieur par des films sains qui cultivent et exaltent les valeurs humanistes! Il y a bien des décennies qu´on a perdu l´habitude de se rendre dans une salle de spectacle pour participer collectivement à une de ces messes cinématographiques où le public communie, soit dans un silence religieux, soit dans un brouhaha joyeux, à un talent qui s´exprime en ombre et lumière sur un écran plat. Dernièrement, un de mes amis m´a téléphoné pour me dire qu´il a été retenu au lit par une chute de tension, mais que celle-ci est vite remontée quand il a vu (sur petit écran) Tombstone. Que de souvenirs! Tombstone, un nom poétique (pierre tombale) pour un trou perdu dans le Far-West! La première fois que j´ai entendu ce nom, c´est quand j´ai vu pour la première fois à la cinémathèque (perle fondée par Ahmed Hocine et René Vautier) le chef-d´oeuvre de John Ford. Le titre est emprunté à une ballade irlandaise (ou de la country music) et répond au doux nom de My darling Clementine. Les mercantilistes français ont vite transformé ce nom poétique en Poursuite infernale, car sept années plus tôt, le même John Ford avait cartonné avec La Chevauchée fantastique (Stagecoach). Et c´est en voyant un film pareil qu´on peut évaluer la maîtrise de l´art par le réalisateur principalement et ses collaborateurs accessoirement. D´abord, c´est un film en noir et blanc et les premières images du générique annoncent «la couleur» et le ton du film. Le générique est écrit sur des panneaux indicateurs qui sont de grossiers bouts de bois fixés sur un rondin à un carrefour qu´on ne voit pas. Cette rudesse exprime déjà la primitivité d´un Ouest qui se construit, des balbutiements d´une civilisation où la violence règne. Un fantomatique convoi de bovins conduit par quatre frères: rien que des silhouettes tant pour les hommes que pour le bétail. Le plus jeune des quatre frères exhibe un bijou: une croix grecque en argent, souvenir de sa fiancée restée à l´Est. Je me suis souvenu là d´une citation chère à Tchékhov: «Dans une pièce, chaque accessoire a un rôle. Si on voit un fusil accroché à un mur, c´est que ce fusil va servir plus tard.» Et pour John Ford, ce minuscule bijou sera un accessoire important. Car pendant que ses trois frères vont à Tombstone pour rigoler un peu, le jeune homme est assassiné et le troupeau envolé. Le chef du convoi, James Wyatt Earp, accepte alors la place de sheriff, vacante à Tombstone. Le décor est planté: une ville tout en bois dans le désert! On imagine les efforts fournis pour construire ces maisons. Une ville qui sert de relais à tous les migrants. La violence est constante. Wyatt Earp a déjà été sheriff et sa réputation le précède là où il va et son regard bleu d´acier (Henry Fonda) glace ses interlocuteurs. Il s´installe avec ses frères pour trouver les assassins et il va faire la connaissance des différents personnages récurrents du western: le sombre personnage miné par un étrange mal (la tuberculose) campé par un admirable Victor Mature qui cherche dans la violence une fin rapide. La chanteuse de saloon qui ponctue les péripéties du héros par des chansons de circonstance (une technique qu´a abondamment utilisée le cinéma égyptien). Des voleurs, des assassins, des personnages hilares, un comédien aux allures de charlatan qui débite du Shakespeare... Et la toux de Doc Holyday (Victor Mature) qui rompt la tension de certaines scènes. Et la coquetterie du nouveau sheriff qui se parfume (un peu de légèreté dans un monde de brutes) à la vue d´une fille B.C.B.G. qui débarque à Tombstone. Et tout cela se passe avec pour arrière-fond le thème de musique My darling Clementine. Tous les ingrédients sont réunis pour passer un bon moment avec Clementine, loin de Khalida. [email protected]