Se peut-il qu´un pays qui a longtemps subi invasions, occupations et colonisations puisse avoir le temps, le loisir, l´heur de souffler un peu pour développer ses propres valeurs? Les diverses avanies subies des siècles durant auront provoqué l´élimination ou l´exil des élites. Les régimes autocratiques, l´intolérance aura fait le reste. Et au bout du compte, le pays se retrouve faute de traditions, à essayer d´appliquer chez lui ce qui a été expérimenté ailleurs. Cette réflexion me surprit un jour quand un cadre de l´entreprise où je ramais s´apitoyait sur le sort d´un honnête syndicaliste persécuté de toutes parts. «Les doctrines importées n´ont pas une chance de s´implanter en Algérie...» J´ai souri et je lui ai proposé de me citer une seule doctrine qui soit née chez nous «et à laquelle on peut faire confiance...» Il fit un bref tour de raison et il écarta ses bras pour me signifier son profond embarras. J´avais trop à l´esprit la douloureuse expérience de Mouloud Mammeri qui avait osé dire certaines vérités: il s´est retrouvé sur la touche des années durant, montré du doigt et traité de tous les noms jusqu´au jour où la vérité émergea à la lumière à l´occasion d´un ras-le-bol général. Maintenant, il peut dormir du sommeil du juste. Il est facile d´importer la technologie, les techniques: il suffit d´envoyer en formation des jeunes gens à l´esprit ouvert vers les pays créatifs où ils s´initieront. Ainsi par exemple, on ne peut qu´applaudir la décision de Sonatrach d´avoir formé la majeure partie de ses cadres aux USA où l´industrie du pétrole est née il y a environ un siècle et demi. Cependant, si les choses pratiques comme le traitement des eaux, le système d´irrigation et d´adduction des eaux, la gestion de l´environnement, l´arboriculture, peuvent être facilement adaptables, il n´en est pas de même pour les doctrines. Ainsi, au lendemain de l´indépendance, l´Algérie avait un oeil sur le grand frère du Caire et un autre chez les camarades des pays socialistes: résultats, on eut un régime à l´égyptienne, avec au bout le corollaire du bakhchich...L´article 120 fut emprunté directement à l´ex-URSS et l´on connut ses fâcheuses conséquences. L´Alphabétisation qui eut un succès notable à Cuba, fit ici un flop malgré les efforts louables de toutes les institutions conjuguées. L´autogestion fut empruntée à la Yougoslavie: cela engendra la gabegie et le marasme. On nationalisa le pétrole comme l´Iran et l´Irak. On nationalisa tout comme dans les pays socialistes et comme dans ces pays s´installa un système à deux vitesses...Les exemples ne manquent pas, hélas! La dernière idée importée est sans conteste, la bande bleue: il paraît qu´un de nos lumineux cerveaux de passage au Canada aurait été séduit par l´organisation du trafic routier dans ce vaste pays qui possède des autoroutes à 6 voies, un réseau ferroviaire performant, des métros et des transports collectifs dignes de ce nom. En outre, ce pays a un profond respect pour l´écologie. Par contre, chez nous, l´application de la bande bleue s´avère contraignante, étant donné l´étroitesse des voies à grande circulation, la domination des véhicules personnels et surtout l´anarchie qui règne dans les transports en commun. Ce brave fonctionnaire aurait mieux fait de rapporter des formules magiques pour produire plus de blé, de pommes de terre, de créer des emplois, de lutter contre la corruption et d´organiser des élections propres, honnêtes et transparentes, condition sine qua non pour une meilleure redistribution de la rente pétrolière.