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Le 26 janvier 1950, l'Inde devint une république démocratique et laïque : quelles leçons ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 01 - 2010

Trois ans après avoir accédé à l‘indépendance, le 16 août 1947, l‘Inde devint une République démocratique et laïque en promulguant, le 26 janvier 1950, le projet de constitution adopté le 26 novembre 1949.
Trois années de délibérations, d'analyse des meilleures constitutions, y compris, les constitutions américaines, britanniques, françaises, soviétique, australienne, suisse… La question essentielle de l'époque est plus que jamais d'actualité, surtout dans les pays sous- développée: Qu'est qu'une bonne constitution ? Une des réponses, peut être la plus significative a été donnée par Bhim Rao Ambedkar qui résumait les travaux de l'Assemblée constituante qu'il présidait:
«Aussi bonne une constitution pourrait l'être, elle devient mauvaise si les gens appelés à la travailler et l'appliquer sont mauvais; et inversement aussi mauvaise que pourrait l'être une constitution, elle peut devenir bonne si les gens qui l'élaborent et l'appliquent sont bons»
Au-delà du formalisme de toute constitution et le processus de modification, somme toute normal, car une constitution n'est pas un dogme religieux, c'est tout le fardeau que Ambedkar a placé sur les épaules des gouvernants, politiciens, députés… Il y a eu une centaine d'amendements depuis et cela comme le prévoyait Ambedkar lui-même, mais l'essence est restée intacte: La stabilité, le respect des libertés, la promotion sociale et la démocratie. Ces principes ont survécu; toute atteinte se retourne comme un effet de boomerang contre ses auteurs comme l'avait démontré l'état d'urgence décidé par Indira Gandhi en 1975. Ces principes ne survivent que s'ils sont ancrés dans les valeurs ancestrales du peuple.
A ce titre la constitution indienne mérite d'être connue à défaut, hélas de s'en inspirer. Nous aurions pu éviter les drames vécus par les populations et prévenir certains des comportements les plus vils de certains «leaders» dont l'Afrique (et d'autres continents) continue à être victime.
Si le contenu de cette Constitution et le formalisme de son organisation et fonctionnement la rapprochent des démocraties occidentales, dont les Indiens ont tiré ce qu'il y avait de meilleur, son ancrage dans l'histoire et la culture de l'inde lui donne un caractère original et inédit; cela explique aussi sa longévité et son respect par les politiciens de tous bords.
Au moment où le bricolage et l'amateurisme règnent dans plusieurs pays et surtout en Afrique, il serait judicieux de se tourner vers les expériences qui peuvent nous aider privilégier les intérêts de nos peuples afin de garantir la stabilité, la liberté et le développement. L'intérêt pour cette Constitution et le régime politique et administratif auquel elle donna naissance est multiple;
Aujourd'hui, grâce a cette constitution, et le «fardeau» qu'elle constitue pour les politiciens, on peut constater:
- L'inde est une démocratie vivante, chaotique peut être, mais qui fonctionne sans que l'armée ni la religion n'interviennent pour les raisons fallacieuses d'ordre, de morale ou autre principes creux.
- L'Inde est un pays unitaire malgré ou grâce a la mosaïque: 28 Etats, et la voie ouverte a de nouveaux comme c'est le cas aujourd'hui en AP et le projet d'Etat Telangana; toutes les religions de l'humanité cohabitent, avec des difficultés mais le respect, la tolérance prennent toujours le dessus; une multitude de partis politiques et une compétition sans concession, mais dans les limites et l'arbitrage de la constitution; une ARMEE dans les casernes et que personne n'oserait appeler au secours pour résoudre les problèmes de l'Etat, de l'économie ou de la société. C'est ainsi que s'est mise en place une véritable diversité dans l'unité et une démocratie vivante et non désincarnée et figée.
Aujourd'hui, la crise institutionnelle est aussi une crise de valeurs
Lorsqu'on observe de près la situation mondiale, on constate une détérioration significative des relations sociales à l'intérieur de chaque pays mais aussi entre les pays. Deux faits convergent peuvent être relevés:
- Les démocraties occidentales sont de plus en plus désincarnées: Elles ne reflètent qu'imparfaitement les attentes des populations et garantissent de moins en moins les libertés et droits des citoyens: Deux exemples tirée des «temples» de la DEMOCRATIE occidentale illustrent cette situation:
1/ Aux Etats-Unis, après le Mc Carthysme qui avait justifié la chasse aux sorcières et les atteintes les plus grossières aux libertés individuelles (principe constitutionnel pourtant), c'est au nom du terrorisme que l'on justifie Guantanamo qui bafoue les principes élémentaires de droits de l'homme mais aussi de l'indépendance de la justice devenue un instrument politique,
2/ En France et en Europe, en mai 2005, le rejet du traité européen par les Français et en Novembre par les Néerlandais nous montrait également que la démocratie était devenue une coquille vide: Aucune personnalité politique n'avait démissionné après un désaveu cinglant des citoyens: Pis encore en France, comme si le vote n'avait pas eu lieu ou mieux que la voix des citoyens n'avait aucune considération, les citoyens étaient culpabilisés pour leur vote, leur «mauvais choix». Aujourd'hui, sous le fallacieux label de «traité simplifié», on impose le même traité aux citoyens qui l'avaient rejeté. Curieuse attitude démocratique et respect de la voix des citoyens !!! Encore un exemple fort édifiant en matière de respect démocratique: Il y a quelques années, dans un sondage, en novembre 2003, (passé totalement inaperçu, comme par hasard) on demandait aux citoyens européens de classer les pays les plus dangereux pour la paix mondiale: Israël était classé en tête par près de 60% des citoyens. Des personnalités politiques, censées représenter leurs citoyens, s 'étaient précipités pour se démarquer du vote. Certains allaient même s'excuser à Israël, comme le montrait le comportement ridicule de Me Frattini, Ministre des AE de l'Europe, qui était «surpris et déçu». Curieuse et étrange conception de la démocratie dans laquelle les élus se désolidarisent de leurs …ELECTEURS au lieu de s'incliner ou démissionner comme on pourrait s'y attendre dans une «démocratie»!!! On peut multiplier les exemples qui montrent les atteintes persistantes aux principes démocratiques et au sacro saint principe des droits et libertés des citoyens. Cela ne semble, hélas, pas trop émouvoir ni inquiéter les médias.
- Dans les pays moins développés, des dictatures imposées par l'armée ou des dogmes idéologiques ou religieux ont été fortement aidées par ce qui est convenu d'appeler les «démocraties» occidentales: Le Chili du sinistre Pinochet, le Pakistan de la dictature islamisée, ou de l'islam militarisé, la majorité des dictatures islamisantes des pays arabes, et plus près de nous le soutien apporté par la France à des régimes arabo-islamiques autocratiques, comme celui du régime d'un autre age de Kadhafi. L'Algérie est un exemple d'immobilisme dû essentiellement à un système totalement anachronique maintenu artificiellement par la rente pétrolière et les instruments d'étouffement des libertés élémentaires, tels que les appareils répressifs de l'armée et la police ou la religion et des traditions rétrogrades. Ce cas n'est hélas pas isolé et l'Afrique continue à être victime de politiciens au comportement nocif pour leur pays.
Il serait difficile de ne pas conclure à une convergence de régimes supposés opposés: Les «démocraties occidentales et les régimes totalitaires et fascisants d'Afrique et d'ailleurs..
Une des principales explications vient justement de la crise des valeurs: les deux systèmes censés s'opposer s'allient pour des raisons économiques et commerciales au détriment des valeurs de liberté, de démocratie et de droits élémentaires des citoyens qui se trouvent piétinés et au mieux ignorés des deux côtés de l'hémisphère.
La constitution indienne pourrait être un exemple pour des pays qui se sont enfoncés dans la crise à la fois économique sociale et institutionnelle, sous jacente à une crise plus grave des valeurs.: En effet, plusieurs pays, anciennement colonisés surtout, comme l'Algérie, continuent à singer un modèle occidental, qui sur le plan rhétorique, surtout hypocrite, est rejeté, voire honni !!; Ce «modèle»est non seulement éloigné de nos réalités, mais se trouve lui-même en état de banqueroute avancé. Le modèle occidental de gouvernance, de l'avis d'un nombre de plus en plus élevé de personnalités, se maintient artificiellement par la violence, les illusions de sa supériorité matérielle (pour combien de temps encore et à quel prix) et surtout une puissance militaire dont les dégâts sont visibles. Les échecs peuvent être aisément observés y compris dans les pays développés dans lesquels les acquis démocratiques et les libertés individuelles sont de plus en plus érodés.
La Constitution indienne: Un produit de la réflexion et de la volonté des peuples de l'Inde:
La constitution indienne est une des rares constitutions qui n'ait pas été le produit de la violence, d'un soulèvement ou d'une dictature comme dans la plupart des cas hélas, malgré le contexte de quasi-guerre civile imposée par la Ligue Musulmane et Ali Jinnah qui ont imposé la Partition et dont on connaît les conséquences pour les peuples surtout au pakistan.
Paradoxale Inde ? Malgré les agressions dont elle a été victime suite aux invasions musulmanes et 200 ans de domination barbare de l'impérialisme britannique, l'inde est toujours restée fidèle à ses valeurs d'ouverture et de tolérance au point d'accepter la partition vécue pourtant comme un véritable drame; elle en a payé le prix fort: Des milliers de morts et de déplacés, et l'assassinant du fondateur de la nouvelle Inde: Le Mahatma Gandhi.. Cette partition a été causée et provoquée par une partie des musulmans manipulés par un parti politique, la Ligue Musulmane, ayant érigé la religion en instrument politique, ( déjà) !. Cela allait conduire l'Inde unie, mais aussi les musulmans et le futur Etat artificiel du Pakistan à la catastrophe dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui. La division et la partition ont par ailleurs toujours été une tactique, voire une stratégique britannique: déjà en 1905, les Anglais avaient divisé le Bengale en partie Hindoue et partie musulmane en transférant la capitale de Calcutta à Dacca. Celle séparation était fermement combattue par les Bengalis jusqu'au rétablissement de l'unité en 1912. Calcutta, capitale de la contestation fut quand même punie et destituée de son statut de Capitale. Mais l'unité a été retrouvée, car voulue par les Bengalis au nom de leur identité culturelle et non pour une quelconque religion. Il est vrai qu'à cette époque, la Ligue Musulmane n'était pas encore aussi forte et manipulée par les Britanniques et leur instrument, Ali Jinnah était encore un proche du mouvement unitaire d'indépendance de l'Inde.
Ce rappel historique permet de jeter un clin d'œil et faire un parallèle avec ce qui allait se passer en Palestine: création d'un foyer juif, puis d'un Etat juif «aux côtés» d'un Etat palestinien, on connaît hélas la suite.; La sempiternelle règle: «diviser pour régner et après moi le déluge» avait produit les effets dévastateurs.
L'INDE a réussi à «rebondir».malgré les sarcasmes des Britanniques et Américains. La constitution dont l'inde va se doter montre ces paradoxes et cette originalité: Elle rassemble tous les ingrédients d'un melting pot dont on se demande comment il allait survivre. Churchill prédisait un à deux ans avant le retour assuré au chaos. 60 ans se sont écoulés, la constitution a non seulement survécu, mais fonctionne efficacement. Pourquoi ?
Nous-nous proposons de montrer qu'au-delà de son contenu classique, la constitution indienne est le résultat d'un processus historique de progression vers l'indépendance; ce processus, privilégiant l'apprentissage des mécanismes de gouvernance avait pour objectif d'opposer un système de valeurs radicalement opposé au système que l'impérialisme anglais cherchait à imposer: en effet, malgré les actions de répression et les soulèvements violents qu'il provoquait auprès des indiens, la stratégie suivie par le mouvement d'indépendance était essentiellement fondée sur la non-violence, «AHIMSA». Le conflit n'était pas seulement un conflit de décolonisation, il était fondamentalement un conflit de valeurs: D'un coté un système Britannique, basé sur la violence, l'exclusion et la haine, de l'autre un système fondé sur la non-violence, l'inclusion et le respect des autres que Gandhi et son équipe allaient mettre en place.
La constitution indienne formalisait ce processus historique d'amélioration des mécanismes de gouvernance et véhiculait ce système de valeurs. Après avoir décrit rapidement le contenu technique et le processus historique dont il est le résultat amélioré, nous mettrons en évidence le système de valeurs qui permet de distinguer la constitution indienne des autres constitutions «modernes» en vigueur dans les pays démocratiques.
Un contenu apparemment classique
Le processus immédiat d'élaboration de la constitution, la composition de l'assemblée constituante et le contenu technique révèlent des similitudes évidentes avec toute constitution libérale. La constitution Indienne a tout d'une constitution ordinaire, d'un pays libéral et démocratique. Toutefois, le préambule, mettait déjà en évidence les différences en insistant sur le contenu social et politique du projet économique et social visé.
Des sources occidentales: La technique au service d'un projet de valeurs: ces sources se reflètent à la fois dans le profil des élites et les aspects techniques et juridiques de la constitution.
Des élites occidentalisées ?
La majorité des fondateurs de l'Inde moderne (Gandhi, Nehru, Ambedkar, Patel, Bose) ont étudié en Angleterre et y ont vécu pendant plusieurs années. Ces éminentes personnalités qui ont marqué le processus d'indépendance et sa consolidation allaient s'inspirer tout naturellement des «meilleures constitutions» et particulièrement britannique et américaine. On retrouve dans la constitution indienne, des aspects des constitutions britannique, américaine, française, irlandaise, soviétique…
Ambedkar, un «intouchable» et concepteur de la constitution, lui-même rappelait ces similitudes:
«On peut s'interroger sur ce qu'il y a de neuf dans cette constitution… Compte tenu des expériences passées, toutes les constitutions, dans leurs dispositions doivent être les mêmes. Les seules choses nouvelles, s'il en ait, ce sont des variations pour corriger des fautes et erreurs, et mettre à jour pour mieux répondre au contexte et besoins du pays», affirmait le Dr Ambedkar dans sa présentation de la constitution à l'Assemblée. Plusieurs personnalités indiennes critiquèrent une copie servile de l'occident: Comment l'Inde, pays des vaches sacrées et de la pauvreté extrême, pouvait-elle devenir démocratique ? Dans deux ans elle retournera à ses archaïsmes, avait prédit Churchill. En fait, ces personnalités, équipées des techniques et des compétences acquises au Royaume uni, avaient décidé de les mettre au service d'un projet de développement citoyen fondé sur des valeurs radicalement différentes. Cela, les occidentaux avaient du mal à comprendre. L'ont-ils d'ailleurs compris ?
Un processus apparemment ordinaire mais révélateur des valeurs
Assemblée constituante: Composée de représentants élus des provinces, de castes, minorités et de partis, c'est une des rares constitutions à être élaborée de façon aussi participative par les représentants du peuple indien. Plus de 300 personnes composaient l'Assemblée constituante en plus des experts en droit constitutionnel et administratif.
L'Assemblée constituante élit en son sein un comité de rédaction de 30 personnalités.
Ce comité de rédaction, responsable devant l'Assemblée Constituante est chargé d'élaborer le texte de la constitution Le comité est présidé par le Dr Ambedkar, un des plus prestigieux juristes, d'origine intouchable qui allait imposer l' «affirmative action», bien avant les USA. Il est intéressant de noter un geste, inconcevable ailleurs: Hindou, le Dr Ambedkar «osa»se convertir au bouddhisme affichant publiquement sa conversion afin d'exprimer son opposition au système des castes et sa volonté de garantir la promotion sociale des castes et des minorités. Il n'a été ni fusillé, mis au bûcher ou exilé, pratiques encore courantes en Afrique, hélas. On peut aussi rappeler celui du grand Soufi, Kabir, qui «osait» au 15 eme siècle, à Varanasi, critiquer publiquement et crûment les gouvernants, islam et hindouisme sans qu'une fetwa ait été prononcée contre lui. Les traditions démocratiques, en Inde, ne sont pas nées avec la constitution de 1950, ni importées par l'impérialisme britannique.
Participation et transparence ont caractérisé le processus d'élaboration de la constitution dont les réunions étaient publiques et ouvertes à la presse. On est loin du processus permanent de bricolage en Algérie, où de la mascarade de «préparation» parallèle d'une pseudo constitution par des ignorants dans une salle de cinéma au mépris de l'assemblée constituante et au détriment du professionnalisme que requiert cette tache.
Un contenu démocratique: ambition ou illusion ?
Une démocratie vivante Pour ne pas être désincarnée et se réduire au formalisme, la démocratie indienne s'articule au niveau national, des Etats et au niveau local des villages. Sans entrer dans les détails, mentionnons quelques éléments:
Les initiatives de lois et de modifications de la constitution appartiennent au parlement mais c'est la justice, la court suprême, indépendante qui garantit la légalité et la constitutionalité de toute initiative, y compris l'état d'urgence proclame en 1975 par Indira Gandhi.
Au niveau national, central Un président: Elu indirectement pour 5 ans renouvelables une fois par le Parlement national et les assemblée législatives des Etats. Cette disposition n'a jamais changé.
Un Parlement, élu au suffrage universel selon le principe de «un homme une voix»
Un gouvernement élu par le peuple au suffrage universel majoritaire et responsable devant le parlement. Le Premier ministre est le responsable élu au sein de la coalition parlementaire.
Au niveau des Etats
28 Etats et 7 territoires: Chaque Etat ayant son propre gouvernement élu et dirigé par le «Chief Minister», responsable devant l'assemblée.
Une assemblée législative composée des représentants élus des différents partis politiques.
Chaque Etat a sa propre langue officielle. IL y 18 langues officielles inscrites dans la constitution et 1265 langues répertoriées.
Au niveau des villages un conseil représentant les minorités, les castes est élu et intervient au niveau des Etats pour défendre les revendications des habitants.
Respect de la légalité: Il est garanti à la fois par les mécanismes institutionnels et judiciaires mais aussi par l'exemple donné par les fondateurs de la république: Nehru, surpris par la victoire des communistes au kerala en 1957 était tenté d'intervenir et annuler les élections, mais se ravisa devant ce risque de violer la constitution.
La légalité de fonctionnement du gouvernement et du parlement est assurée par des organes indépendants et une justice (la Court Suprême) indépendante.
La constitution indienne insiste sur le caractère politique et social de la société en construction et de la nécessaire participation de tous les citoyens, quelles que soient leurs appartenances religieuses, ethniques.
Une constitution fondée sur les valeurs
Cette large préparation qui a prévalu lors de l'élaboration de la constitution se fonde sur les valeurs, la culture et la spiritualité plus que sur le formalisme juridique. Dans l'hindouisme, le principe de l'inclusion est essentiel: Contrairement aux autres civilisations monothéistes, l'hindouisme intègre, respecte et accepte les autres religions et autres civilisations: chrétiens, musulmans, sikhs, castes étaient ainsi représentés dans l'assemblée constituante; la constitution leur garantit les mêmes droits: L'exemple actuel est tout à fait édifiant: Après un Président Musulman, Abdul el Kalam, personnalité très populaire, une femme hindoue est Présidente, le Premier ministre est sikh, le président du parlement, un communiste !!!
Le préambule de la Constitution stipule: La constitution indienne formalise la «République, démocratique politique, sociale et laïque»:
Est- elle une République Démocratique et populaire à la Soviétique comme le laissaient aussi préfigurer les plans pharaoniques de Nehru puis les modèles développés par «Mahalanobis»: ces plans quinquennaux rappelant les plans à la soviétique: La situation est plus complexe: Nehru proclame son affinité avec le socialisme, mais lance les IIT et IIM en partenariat avec les universités américaines. Il privilégie les initiatives venant de l'Etat et ses institutions, telles que les entreprises publiques, mais protège les entreprises privées comme Tata, Birla. Aucune entreprise privée n'a été nationalisée; par ailleurs chaque religion pouvait prendre des initiatives dans l'économie, l'éducation ou les services. Ainsi dès 1949, les jésuites lançaient des «colleges» dont certains comme XLRI est aujourd'hui une des plus prestigieuses «business school» en inde.
C'est dans l'hindouisme que l'on retrouve cette conception inclusive: On ne développe pas un secteur, une dimension au détriment des autres dimensions, de même que l'on ne développe pas une communauté, fût-elle la majorité dominante au détriment des minorités, ou du secteur public au détriment du secteur privé.
Une lecture occidentale qui n'intègre pas cette dimension culturelle, radicalement différente des civilisations monothéistes et occidentales, ne comprendrait pas cette «complexité» et aurait tendance à la rejeter car peu «conforme» à une norme dans laquelle tout devrait être rationnel, linéaire, simple et logique. Les contradictions doivent être éliminées. Ce n'est pas le cas en Inde où les contraires non seulement peuvent cohabiter, mais s'enrichir s'ils sont inclus et non exclus.
Cet ancrage de la constitution dans la culture est régulièrement rappelé par les responsables indiens:
«La démocratie politique consistant dans le principe: un homme un vote est insuffisante: en effet, que signifie un vote pour une personne en bas de l'échelle et exclue du développement économique. La démocratie politique n'est importante que si elle permet plus de démocratie sociale et économique, de justice et d'égalité», affirmait Ambedkar.
«Un peuple affamé ne peut être fier d'une constitution ou sa loi», affirmait Radhakrishnan.
Encore Ambedkar qui affirmait: «Une démocratie politique ne peut durer que si elle est basée sur une démocratie sociale. Celle-ci signifie une façon de vivre qui reconnaît la liberté, l'égalité et la fraternité qui ne sont pas traitées comme des entités séparées, sinon c'est le contenu même de la démocratie qui perd son sens»
L'Inde introduisait déjà la politique de l' «Affirmative Action»: Reconnaissance et promotion des droits politiques et économiques des minorités, des castes et des tribus:
La constitution indienne donne un contenu concret à la démocratie: Le Dr Ambedkar insista, malgré des oppositions et des critiques de plusieurs membres du Congrès, y compris Gandhi pour que des quotas soit chaque année définis pour promouvoir les droits des minorités et des groupes sociaux les plus vulnérables.
Malgré la sécession musulmane conduite par La ligue et Ali Jinnah, la liberté religieuse et le caractère laïc de la république indienne sont préservés. Il est vrai que certains musulmans, comme Maulana AZAD, futur Premier ministre de l'éducation du gouvernement indien, osaient s'opposer à la Ligue Musulmane et Ali Jinnah, et défendaient le concept de l'Inde unie et tolérante malgré les menaces et les invectives dont ils étaient l'objet. Aujourd'hui, plus de 120 millions de musulmans vivent en Inde et pratiquent librement leur religion: Partout en Inde, on trouve côte à côte mosquée, temple hindou, sikh, jain, bouddhiste, synagogue et église, sans que cela choque ou soit l'objet de rejet ou de menace.
Les fondements culturels et sociaux de la constitution
Les sources culturelles et spirituelles fondent la constitution, son fonctionnement et le projet qu'elle véhicule.
La constitution indienne est le résultat d'un processus historique et non d'un bouleversement ou d'une rupture malgré les périodes de violence et de répression face à l'occupation britannique. Certains évènements le montrent:
- Une constitution éloignée de toute forme de violence: c'est une rare constitution qui ne soit pas le résultat de la violence imposée par un nouveau régime, une dictature, un coup d'Etat ou tout autre forme de violence: Souvent, les constitutions sont le résultat de la violence ou d'un système imposé au nom d'une rupture: en France, USA, URSS et pays en développement les régimes imposés par la force se sont taillés une «constitution» sur mesure.
- Cette constitution est le fruit de la non- violence et de débats démocratiques comme le montre le processus historique ayant conduit à l'indépendance:
Le mouvement social de libération n'a été ni un processus linéaire, ni uniforme: Les divergences importantes l'ont jalonné: Netaji Subhas Chandra Bose est celui qui s'opposait le plus clairement et publiquement à Gandhi à la fois au sein du Congrès et sur le terrain
Un processus complexe et contradictoire: Il réunissait les courants extrêmement différents avec des personnalités très fortes: Bal.G Tilak préconisait une attitude agressive et la résistance violente contre les Britanniques, Motilal Nehru était plutôt favorable à la négociation, Mada, M Malviya pour une relation pédagogique avec les Britanniques, R Lakshmibai, Chandra N Bose était le plus radical et allait jusqu'à envisager une alliance avec les Nazis pour battre les Anglais. Comment Gandhi avait-il réussi à imposer sa démarche en évitant d'exclure, voire éliminer tout point de vue qui lui était opposé:. Préconisant la non-violence Gandhi était pour un processus évolutif: La rupture ne doit pas porter sur la forme et la structure de gouvernance seulement mais surtout sur les valeurs. Sa politique basée sur l'ahimsa et la sortie pacifique de la colonisation britannique ne recueillait pas l'unanimité au sein du Congrès mais était plus proche des populations; elles s'y identifiaient non pour les tactiques ou les et moyens mais pour les valeurs qu'elle mobilisait pour la construction et la justification de cette politique. Ainsi, Subhas Chandra Bose, lui-même, qui s'était opposé le plus farouchement à la fois à Gandhi et au Gandhisme, jusqu'au bout, reconnaissait la puissance de la démarche de Gandhi: «Quand le Mahatma s'exprima, il le faisait dans un langage tel que le peuple comprenait aisément. Il ne s'inspirait pas de grands philosophes respectables, rationnels comme le font plusieurs responsables du Congrès formés tous dans les universités britanniques; le mahatma puisait dans la Bhagavat Gita et Ramayana. Le peuple n'avait aucune difficulté à comprendre… Lorsqu'il parlait de Swaraj, de l'indépendance, il ne s'étendait pas sur les vertus de l'autonomie des provinces, de la fédération, de l'union et les liens entre la centralisation et décentralisation, des avantages du socialisme, il leur rappelait les gloires de Ramrajya, le royaume mythique de Rama et ils comprirent»; il parlait de la conquête à partir de l'amour et la non-violence comme le préconisèrent Bouddha et Mahâvîra. Ils acceptèrent. Ces valeurs que l'on peut symboliser par la «satyâgraha et ahimsa» étaient le fondement du processus d'indépendance mais aussi du projet social qui doit être construit après l'indépendance. Ces valeurs ancrées dans l'identité de l'inde étaient l'instrument de ralliement le plus sûr. Gandhi y puisait non pour des raisons tactiques, mais parce qu' elles étaient ses propres valeurs qu'il exprimait dans ses gestes, mais aussi dans son comportement et son mode de vie quotidien.
La permanence des valeurs ancestrales
La démocratie, la liberté, la tolérance et l'acceptation de l'autre sont inscrites et ancrées dans la civilisation indienne et l'hindouisme: Bouddha est né en Inde et y a développé le Bouddhisme. L'hindouisme a intégré plusieurs éléments du Bouddhisme sans altérer ses propres valeurs. Asoka lui-même est devenu Bouddhiste, a probablement contribué au développement du bouddhisme, mais sans réussir, malgré son pouvoir et sa popularité à faire basculer les Indiens dans le bouddhisme Aujourd'hui, bien que le bouddhisme ne représente que 2% de la population, il reste une philosophie respectée, pratiquée librement et ses vestiges, ses enseignements et temples protégés. Il serait erroné de penser que la constitution et une poignée d'intellectuels puissent créer des valeurs de liberté et de respect sui généris, ou que ces valeurs puissent durer si elles n'étaient ancrées dans les racines civilisationnelles de l'inde.
Quelques remarques en guise de conclusions
Le formalisme de toute démocratie est respecté et appliqué: L'alternance est assurée. Mais au-delà de la forme, il s'agit d'une démocratie réelle et vivante: Pendant que les démocraties occidentales débattent à l'infini l'attitude à adopter vis-à-vis des citoyens d'origine, de culture et de religion «étrangères», l'Inde pratique la tolérance et gère la diversité depuis toujours: Aujourd'hui, dans l'inde hindoue à plus de 80%, un président de la république peut être musulman (abdul kalam considéré comme le préféré des indiens), un Premier ministre Sikh, Manohan Singh, une présidente femme, une présidente du parti au pouvoir dirigée par une femme et d'origine catholique et étrangère, Mme Sonia Gandhi, un président de parlement communiste du CPI-M, des Etats au Kerala et W Bengale dirigés par des communistes depuis plusieurs décennies. Un hommage national est rendu a Jyoti Basu, grand leader communiste, mort il y a une semaine; on célèbre le 113 anniversaire de Netaji Bose, ceux sont encore quelques exemples de cette tolérance et ce respect de la diversité.
Le développement de l'Inde et sa modernisation ne se font pas au détriment des traditions que les occidentaux considèrent comme des archaïsmes et de la superstition, donc incompatibles avec le «moderne»; en Inde, la Mercedes côtoie les vaches, le manager occidentalisé roulant dans sa Mercedes s'arrête devant les vaches qui se «promènent» sur les routes; le manager, hyper occidentalisé dans son bureau luxueux, performe sa pooja devant Ganesa, les déesses Lakshmi ou Sarasvatî. Le traditionnel n'est pas exclu mais fait partie du processus de développement, le rationnel et l'irrationnel sont deux dimensions d'un même processus, complexe et non linéaire.
Dans quel pays «démocratique» trouve-t-on une telle configuration, une telle ouverture et un tel degré de tolérance ? Ce mode de gouvernance aurait -il pu durer s'il n'était ancré dans les valeurs de l'Inde et l'hindouisme ?
Les défis pour la démocratie et la culture indiennes
L'indépendance: ni fin en soi ni panacée
La «démocratie» occidentale se trouve aujourd'hui dans l'impasse, en état de banqueroute avancée: Sur le plan économique et social, peu de démocraties occidentales répondent aux besoins des citoyens: Pauvreté, exclusions, discriminations touchent un nombre de plus en plus grand de citoyens. Le climat social et mental se détériore régulièrement comme le montrent les multiples sondages sur les conditions de travail, le moral comme le montrent les scandales des suicides a France telecom, la SNCF et autres plus exemples caches.. Sur le plan international, 5 pays dont 3 occidentaux (la France, Angleterre, USA), en désarroi, bénéficiant des acquis d'une des guerres la plus barbares dont ils étaient responsables, continuent à imposer leur loi et piétiner les tentatives d'émancipation des peuples et des citoyens. Leur puissance et supériorité reposent encore, pour combien de temps, sur l'attractivité matérielle et surtout les appareils répressifs dont ils ont l'indéniable maîtrise. Une perspective humaine peut-elle se baser sur l'accumulation et la puissance matérielle ? Derrière les apparences physiques de confort et d'aisance matériels, se cachent toutes les limites d'un système dans l'impasse, essoufflé et qui tente de préserver les acquis en maintenant des millions d'êtres dans l'ignorance, le dénuement et le climat de peur et de catastrophisme dont ils sont en grande partie responsables.
L'expérience indienne, basée sur la recherche difficile d'un développement équilibré qui intègre et non exclut, mérite d'être mieux connue. Elle mérite d'être soutenue, car elle est fragile et vulnérable face au rouleau compresseur du développement matériel dont la puissance reste plus que jamais une menace pour l'humanité et son intégrité. La puissance militaire peut continuer à différer la fin d'un système aux abois qui n'a aucun avenir mais dont la capacité et volonté de nuisance sont encore plus que jamais d'actualité, voire intactes.
*Professeur a l'école de commerce CCI Marseille, professeur visitant à Hyderabad (INDE).


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