Dans tous les pays où la démocratie règne par la grâce de la transparence des urnes, du multipartisme, d´élections propres et honnêtes et de l´alternance au pouvoir, le peuple, par l´immense pouvoir que lui confère la Constitution, peut reconduire, tirer un coup de semonce ou désavouer carrément une majorité. Car il est bien entendu que c´est la majorité au pouvoir, qu´elle émane d´un seul parti ou de plusieurs partis qui ont tissé une alliance à force de laborieuses négociations dictées en général par la proximité menaçante d´une opposition, qui décide de la formation d´un gouvernement après avoir, pendant une campagne électorale haletante, exposé en long, en large et en travers un programme. Ce programme peut porter sur des points très précis ou alors (et c´est rare dans un pays à tradition démocratique) ne porter que sur des généralités traitées à la langue de bois et baignées dans un flou absolu (c´est le propre des régimes du Sud). Quand le gouvernement expose le programme plébiscité par la majorité des électeurs, la majorité parlementaire l´adopte et l´enrichit en présentant des correctifs conjoncturels qui ne sont pas contraires au programme initial. Le gouvernement est tenu alors de l´exécuter dans les meilleurs délais avec les moyens que lui confère la loi de finances. Le programme peut s´étaler sur une, deux ou cinq années selon les législatures. Et chaque année, à la veille du vote de chaque loi de finances, présentée par le gouvernement, les députés sont censés demander des comptes au gouvernement et sur l´exercice écoulé et sur les projets à venir, les deux sujets étant étroitement liés par le bilan du gouvernement. Le ministre de l´Education dressera le bilan des effectifs d´élèves, d´enseignants, d´établissements nouveaux, du niveau moyen de chaque cycle d´études, du nombre de candidats, des diplômés. Le ministre de l´Agriculture peut faire de même dans son domaine: énoncer en hectares la surface de terres arables, celle des surfaces utiles, des emblavures, les chiffres des dernières récoltes de blé, de vigne, de pomme de terre, d´olives, et comparer ces chiffres avec ceux de l´année d´avant pour montrer le progrès ou la récession en fonction des difficultés rencontrées. Le ministre peut passer sous silence le terrain gagné par le désert ou l´étendue des dégâts causés par les incendies. Et ainsi, chaque ministre dans sa spécialité, peut faire montre de sa compétence. Cependant, il peut arriver que l´énoncé du ministre des Finances et celui du Commerce contredisent complètement ceux de l´Industrie et de l´Agriculture: comment expliquer que les importations en produits alimentaires aient augmenté alors que la démographie est quasiment la même. Si la production intérieure est florissante, aux dires du ministre de l´Agriculture, le budget alloué à l´importation de lait, de patate ou de blé doit diminuer. Ou carrément, si tous les bilans triomphalistes exaltent les progrès réalisés dans les constructions de routes, de logements, de voies ferrées, dans la création d´hôpitaux, dans l´amélioration des soins... on se demande pourquoi les salaires ne changent pas! Et surtout pourquoi la majorité des citoyens boude les urnes. De deux choses l´une: ou le peuple est difficile ou le gouvernement est incompétent. Or, depuis 1962, un seul gouvernement a été dissous sous la pression: celle de la rue. Et c´était en 1988.