Quand on est un simple citoyen, sans «connaissances» ni piston, et qu´on est dénué du sens des affaires, il faut souffrir pour se faire une petite place dans cette société où on se bouscule de plus en plus. C´est l´aventure d´un quidam qui, après avoir épargné son après sou, dans cette célèbre institution qui était spécialisée jadis dans le financement du logement et de l´accession à la propriété. Après avoir fourni une demande d´achat de logement et constitué un dossier fort copieux, il eut la surprise de se voir octroyer un trois pièces dans la banlieue d´Alger, dans une de ces cités qui ceinturent la capitale. La joie d´avoir enfin un petit chez-soi fut tempérée par l´état de l´appartement: travaux bâclés, absence d´étanchéité et autres petits défauts qui ont dû nécessiter un autre devis pour rendre l´espace habitable. La plomberie spécialement dut être complètement refaite. Cependant, l´heureux bénéficiaire du logement constata qu´une odeur d´égoût régnait toujours dans l´appartement situé pourtant au dernier étage. Consulté, le plombier lui montra une cassure à l´intérieur du siège des toilettes. Cette cassure supprimait l´effet du siphon qui devait bloquer toute remontée de mauvaises odeurs. L´épargnant anonyme fataliste remplaça ladite cuvette et conclut, en accord avec le plombier émérite que cette cassure était l´oeuvre d´un travailleur de la société qui était chargée de la réalisation de l´immeuble. Notre fortuné citoyen conclut que ce modeste travailleur, encore plus modeste que lui, a dû penser que les bénéficiaires de ces logements étaient de sacrés privilégiés et qu´il fallait faire quelque chose pour atténuer leur joie. Le citoyen «privilégié» pensa alors à l´état d´esprit qui devait régner dans cette couche de travailleurs qui oeuvraient au bonheur des autres. Il se demanda et il se demande toujours (car il n´a rencontré parmi les heureux bénéficiaires de ces logements achetés à crédit, que des chefs de service d´administration, des commerçants, des enseignants ou des cadres moyens, ces deux dernières catégories ne végétant pas longtemps dans ces immeubles voués à la surpopulation et aux désagréments de la promiscuité). Combien faudrait-il d´années de salaire à ce travailleur du bâtiment pour pouvoir accéder à un modeste logement? Le calcul lui sembla si fastidieux qu´il renonça, car il fallait y inclure les frais de restauration, les frais d´habillement, les frais de mariage...Cela n´en finissait plus. Il était arrivé à la conclusion que, vu l´état des salaires dans notre pays, vu la facture alimentaire, l´ouvrier modeste devait choisir entre manger et se loger. Comme il n´avait pas le choix, il dut se rendre à l´évidence qu´il était préférable de ne pas se fatiguer puisque finalement le résultat n´était pas très différent. Il vit même sa situation se détériorer au fil des années: l´entreprise publique qui l´employait fit faillite et il tomba, après des mois de chômage, dans les rets du privé. Il travailla. Il perdit l´avantage de la sécurité sociale car son nouveau patron était intraitable sur ce point. Petit à petit, il perdit le goût du labeur bien fait et préféra chercher un petit boulot de gardien: là au moins, il aurait le temps et le goût de rouler un joint tout en sirotant un «jetable» de café noir avec ses copains qui, comme lui, ne pensent qu´à une chose: comment traverser l´étroit bras de mer qui sépare son pays de l´Espagne? Il a entendu dire que ceux qui sont passés sont maintenant en Angleterre: ils travaillent durement, mais ils trouvent où loger! Et on se demande encore, après quarante-six années d´erreurs, pourquoi les compétences fuient.