Qui l'eût cru? Pourtant la chose se confirme jour après jour : le colonialisme est bel et bien de retour. Et voici qu'à l'ère du libéralisme, de la démocratie, de la bonne gouvernance et tutti-quanti, on retourne aux bonnes vieilles méthodes du bâton et de la canonnière. Et comble de l'ironie, ce sont les Etats-uniens, le premier peuple des temps modernes à avoir conquis sa liberté, les armes à la main, ayant longtemps servi d'exemple, qui réinventent, à l'époque des voyages spatiaux, le colonialisme, dans sa dimension la plus exécrable, de domination par la puissance et l'arrogance. Nation dominante depuis près d'un demi-siècle —Empire de fait de par leur puissance financière, économique, «culturelle» (la «culture» d'Hollywood règne sur le monde), et militaire, sans précédent— les Etats-Unis, en imposant la guerre contre l'Irak et le régime, à tout le moins odieux, de Saddam Hussein ont, en fait, cherché à officialiser un état de chose, certes, admis en filigrane, que Washington veut maintenant rendre irréversible. Ses intérêts se répartissant sur l'ensemble du globe et touchant à tous les domaines socio-politiques, économiques et militaires, les Etats-Unis ne tolèrent plus l'entrave que constitue à leurs yeux le Conseil de sécurité de l'ONU, ce corset qui les bride, et les réduit au rang d'une quelconque Nation tenue au respect et à l'observance du droit international et des règles de la légalité internationale y afférents établis par consensus avec l'adoption de la Charte des Nations unies en mai 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Washington estime aujourd'hui n'être plus concerné ou engagé par la Charte de l'ONU qui s'impose à tous ses membres. En fait, lorsque le 17 mars 2003, au Sommet à trois aux Açores, (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Espagne), le président des Etats-Unis, George Walker Bush, a déclaré que la guerre contre l'Irak se fera, que ce soit avec ou sans l'accord du Conseil du Conseil de sécurité des Nations unies, la chose était entendue. Dès lors, il est patent que les Etats-Unis se sont affranchis des règles régissant les relations internationales et de la primauté de l'ONU en tant que premier et ultime recours pour tout ce qui engage les Etats dans la violence de la guerre. En décidant, malgré les réserves de l'ONU, d'engager la guerre en Irak, Washington a fait un choix stratégique qui rompt définitivement avec l'équilibre induit par l'existence de l'ancien bloc communiste et l'URSS qui faisait contrepoids au pouvoir sans précédent que détenaient les Etats-Unis. Aussi, au-delà de l'occupation physique, et la colonisation à rebours de l'Irak, c'est en réalité la Terre qui est devenue une sorte de colonie de fait des Etats-Unis qui répètent à l'envi leur détermination à défendre les «valeurs et intérêts américains» partout où ils se trouvent. Et comme ceux-ci essaiment sur les cinq continents du globe, il est aisé de comprendre que c'est la planète elle-même qui est aujourd'hui placée sous l'égide du protectorat américain. De fait, pour s'en convaincre il suffit de se référer au dernier projet de résolution déposé par Washington auprès du Conseil de sécurité pour adoption qui, dans cette éventualité, éliminera les Nations unies comme passage obligé et lieu où s'élaborent les règles et les lois régissant le monde. En effet, en demandant les pleins pouvoirs sur l'Irak (notamment dans la gestion de son économie et de son pétrole) excluant l'ONU de tout droit de regard sur l'après-guerre, Washington crée un précédent, de fait, une jurisprudence qui servira dans d'autres cas où l'ONU n'aura plus son mot à dire sur la conduite des affaires du monde. Ainsi, coquille vide, l'ONU ne sera plus que la justification a posteriori des décisions qui se prendront au seul niveau de la Maison-Blanche et du Pentagone. L'affaire irakienne, dans laquelle les Etats-Unis ont engagé leur crédit, leurs finances, et leur armée n'est guère fortuite et induit une reconfiguration en profondeur des relations internationales telles qu'elles existent présentement, ouvrant la voie à la mainmise de fait de Washington sur les affaires du monde. Dès lors, il va de soi que les stratèges ayant concocté la guerre contre l'Irak tenaient à ce que l'exemple irakien ne soit oublié de personne et serve de leçon pour l'avenir. Un avenir qui, indubitablement, sera aux couleurs de la bannière étoilée. N'est-ce pas un éminent politologue américain qui prophétisait, au début des années 90, que le XXIe siècle sera «un siècle américain». Nous y sommes! La colonisation de l'Irak et la reconfiguration, promise par George W.Bush pour le Moyen-Orient, n'en sont, en fait, que le début. Et Paris, Moscou et Berlin qui font encore un semblant de résistance savent que leur marge de manoeuvre est très limitée.