Nul ne sait ni quand, ni où, ni comment cela commença. Le phénomène a dû naître, petit, insignifiant, puis il a commencé a enfler progressivement, insidieusement jusqu´à occuper une grande partie de l´espace public. Mais au départ, il y avait sûrement le laisser-faire. Un laisser-faire qui dure d´une manière inquiétante. Avant, on ne fêtait point le Mouloud comme maintenant. La veille, dès le crépuscule, enfants et adolescents envahissaient la place, la djemaâ pour épuiser le stock d´accessoires pyrotechniques qu´ils ont achetés avec leur maigre argent de poche. C´était alors une symphonie de pétarades ponctuée par des cris de joie dans toutes les ruelles du village. La panoplie du fêtard n´était guère fournie comme les assortiments qu´on offre aujourd´hui aux empêcheurs de dormir en rond. Des pétards de petit calibre qui n´ont rien à voir avec les bombes proposées aujourd´hui, des feux de Bengale et des fusées que seuls les plus fortunés pouvaient s´offrir pour illuminer les nuits noires d´alors. Mais le plus spectaculaire demeuraient les affrontements entre gamins qui, armés de pistolets à bouchons de liège tentaient de refaire les scènes d´un westen que leur imagination fertile avait mémorisées à l´occasion d´une projection... Le village était secoué le temps d´une soirée: les femmes âgées tentaient de mettre à l´abri leur jeune progéniture tandis que les vieux lançaient des imprécations contre cette «bidaâ» venue on ne sait d´où. Cependant, tout le monde pouvait reconnaître que jamais, le village n´eut à déplorer quelque incident qui aurait pu transformer un jour de fête en une journée de deuil. Il faut dire que la qualité des articles pyrotechniques était surveillée: les gendarmes, vigilants, avaient à l´oeil les rares commerçants, tous patentés, du village. Et puis, le moindre incident aurait dégénéré, étant donné la tension due aux vieilles rancunes qui existaient entre certaines familles. Bref, l´arrivée de la guerre mit fin à tout cela. Et les balles meurtrières, les bombes remplacèrent vite les jouets. Au bout de plus de sept ans, les gens commencèrent à avoir horreur des détonations: cela n´empêcha pas les combattants, de célébrer avec leurs armes de combat un 5 Juillet mémorable. Il y eut même un blessé grave. Depuis, la fête qu´on qualifie toujours de religieuse se transforma en un vaste marché où de puissants intérêts ont investi des sommes considérables dans des opérations juteuses. Il n´y a que la puissance des intervenants qui puisse expliquer l´inanité des efforts de la puissance contre un trafic qui ne dit pas son nom. Comment expliquer, que d´une part, les Douanes annoncent triomphalement la saisie de quantités considérables de produits pyrotechniques, alors que dans les quartiers, au vu et au su des rondes de police, coexiste un circuit de revente de ces articles, circuit parallèle à celui des drogues douces. Il est à remarquer que, c´est souvent les mêmes adolescents, naufragés de l´école fondamentale, qui s´adonnent à ce négoce fort lucratif. Les dividendes doivent être conséquents puisque cela dure au moins un mois. Pourquoi d´ailleurs, les pétarades qui ne doivent normalement ne durer qu´une soirée, s´étendent-elles à tout un mois? Pourquoi les autorités concernées ne réagissent pas à ce phénomène qui n´amène que nuisances sonores, blessures, incendies... C´est qu´au départ, il doit y avoir de puissants barons qui règlent le trafic de ces articles importés de Chine. Et dire qu´avant, c´était la science et la sagesse qu´on allait chercher dans l´Empire du Milieu.