Préoccupation Tout en vaquant à ses occupations, Mouloud ne cesse de tourner et retourner le problème dans sa tête. Mouloud referme doucement la porte et sort dans la rue. L?aube commence à peine à poindre, par cette froide matinée de novembre. Il hâte le pas vers le centre-ville, où il est garçon de café. Tout en longeant les trottoirs graisseux, dont la plupart sont jonchés de détritus jetés par les commerçants, Mourad réfléchit. «Jusqu?à quand va-t-il continuer à dormir chez moi ? Pourtant, il a une grande villa de six pièces... Comment peut-il accepter de se serrer avec nous dans une chambre unique ?» «Il» c?est Rabia, son cousin maternel, un fonctionnaire aisé, qu?il a laissé dans son petit logement, couché dans son lit. «Et Fatiha qui dort sur le matelas, dans la même pièce.» Mouloud fronce les sourcils «Bien sûr, c?est son demi-frère, elle me l?a dit, mais...» Perplexe, Mouloud est partagé entre le désir de se débarrasser de ce cousin envahissant et la crainte de paraître jaloux du demi-frère de sa femme. Mais peut-il seulement lui dire un mot ? «Fatiha est aux petits soins avec lui. C?est tout juste si j?existe pour elle? Elle a bien changé... Non ! je vais dire à Rabia de s?en aller, nous ne pouvons continuer ainsi... Les deux petits sont aussi mal à l?aise... Et puis, j?en ai assez de dormir par terre, tandis qu?il se vautre dans mon lit.» Et, dépité, il donne un coup de pied dans une boîte de conserve qui va se projeter contre le mur. Depuis quelques jours déjà, tandis qu?il vaque à sa besogne, Mouloud a l?esprit tourmenté par ce problème qu?il n?arrive pas à résoudre, se jurant de le régler dès son retour à la maison. Mais une fois chez lui, il est submergé par des sentiments contradictoires quand il voit sa femme rayonnante et gaie, et l?affectueuse attention que lui porte Rabia qui rentre maintenant chaque soir comme chez lui, portant des sachets de victuailles pour toute la famille. Mouloud essaie toujours d?intervenir, ressentant cela un peu comme une insulte et comme une excuse pour maintenir son cousin dans son intimité. Chaque soir, ce couple à trois veille jusqu?aux environs de minuit, bavardant autour d?un tasse de café que Fatiha sert sur un petit plateau de cuivre étincelant. «Khouya Rabia, raconte-nous...», commence-t-elle aussitôt, assise sur le bord du matelas où ses deux jumeaux dorment côte à côte, entourés de petits coussins. Et au cours de ces soirées où Rabia égrenne ses souvenirs, parlant d?une voix monocorde de son long séjour en Syrie où il a fait ses études, de l?Egypte où il occupait un poste de responsable à l?ambassade, Mouloud, la tête légèrement baissée, écoute, un sourire vague sur les lèvres, hasardant une phrase ou deux, ne posant jamais de questions. (à suivre...)