La trentaine d´avocats et les deux cents curieux présents dans la salle d´audience de Koléa se sont bien tenu les côtes lorsque la juge avait signifié à l´inculpé qu´il devait aux impôts vingt-sept milliards de centimes alors qu´il avait un local commercial de...vingt-sept mètres carrés. Voilà un pauvre paysan de la haute Kabylie qui descend chez les urbains de la capitale, tenter sa chance pour gagner le gros lot. Il ouvre un local commercial de quelque 27 m², trouve un petit malin de l´antique Cirta, lui offre son «registre du commerce», fait appel à l´aide du Tout-Puissant et débute dans le commerce. Les affaires marchent? Il n´en sait rien. Tout ce qu´il sait, est que le Constantinois s´acoquine avec d´autres commerçants débrouillards éblouis par le gain facile. Y a-t-il des bénéfices? Le paysan n´en sait rien. En 1999, il baisse le rideau, ferme le local et va errer jusqu´en 2002 dans son poste à Boukhalfa comme agent de sécurité avant de traverser la Méditerranée (pas à la nage ni en barque à risque). Chez les Gaulois, il trouve une belle blonde, convole en justes noces, et la mariée lui porte bonheur puisqu´il arrive à trouver un poste comme agent de...sécurité. Le pauvre malheureux ignorait cependant que la justice a décidé de son sort par défaut à la suite d´une plainte des... impôts (ces services qui n´ont jamais perdu une seule affaire en justice!). Trois ans ferme et 27 milliards de centimes à débourser au Trésor public. A la barre, face à la juge, elle-même pas trop convaincue que ce pauvre bougre avait une tête à... milliards de nos centimes, il va tenter, flanqué de Maîtres Laceb et Abboud, venus des Genêts, d´expliquer qu´il avait été joué, mené en barque, grugé, eu, envoyé face à Satan. Maître Ouali Laceb a suivi religieusement cette affaire opposant un commerçant aux...impôts, cette institution qui gagne à tous les coups tant ses mécaniques posent de multiples problèmes. Mounira Nacer, la présidente, avait pris la précaution de poser une bonne question: «Savez-vous que les impôts ont tout ce qu´il faut pour être régularisés. Ils n´oublient personne. Ils n´oublient rien!» Le client de Maître Laceb avait pourtant juré que depuis 1999, il avait cessé toute activité commerciale et qu´en 2002, il avait même loué le local. O.K. mais en matière fiscale, c´est à l´inculpé de prouver son innocence. Comment? En étant en règle, c´est tout. Et être en règle, c´est déclarer, déclarer, signaler... Zahida Benhamada, la parquetière, a bien tenté de poser des questions difficiles pour étaler la mauvaise foi de l´inculpé, elle va réussir aux trois quarts, aidée en cela par la naïveté de l´inculpé sous mandat d´arrêt. Plaidant à chaud, Maître Laceb met en lumière le rôle positif de son client, lequel s´était mis à la disposition de la justice et ce, à l´arrivée à l´aéroport. Il n´a jamais été interpellé. «Il s´est rendu de son propre gré», a sifflé l´avocat qui a rappelé que son client avait cessé ses activités en 1999 et donc, il n´a plus exercé, surtout qu´il avait vite égaré son registre du commerce, lequel aurait pu servir à d´anciennes connaissances qui se sont faits de l´or sur son dos alors que «l´inculpé Hamid était arrivé en France en 2002 pour y bosser. Sept ans après, il reçoit un bon à payer de 27 milliards alors que l´inculpé n´était qu´un agent de sécurité à 17.000 DA/mois», s´est écrié le défenseur qui a protesté contre ce dossier plein de non-sens, d´irrégularités et où il n´y a même pas une seule exper-tise! Maître Abboud avait débuté sa plaidoirie par un bombardement en règle contre les magistrats-robots à-plat-ventristes, couards: «Madame la présidente, ce jeune n´a personne à qui s´adresser, sauf vous. Vous êtes le symbole de notre justice et les cris démesurés de cet homme joué par la mafia. Vous être la bouée de sauvetage, c´est pourquoi les demandes de la défense, en l´occurrence la désignation d´un expert, l´éloignement d´une peine de prison ferme qui ne sera ni dans l´intérêt de l´inculpé ni même des impôts, doivent être prises en considération par le tribunal qui est là pour trancher et pas forcément en distribuant des peines, des amendes et quoi encore», s´était exclamé l´avocat de Tizi que soutenait Maître Laceb qui ne cessait de sourire comme pour lui signifier «Vas-y, vieux! Tirons ce paysan de la boue». Il faut vite souligner que les deux plaidoiries des deux défenseurs de Hamid ont emballé Nacer, la présidente, même si Maître Abboud a écorché au passage le non-droit de certains charlatans qui croient servir la justice mais qui passent à côté. Et comme à la parade, Maître Abboud avait eu tout de même la présence d´esprit de lancer une «prière» en direction de la présidente qui avait ce jour-là deux menues-frêles stagiaires-juges du siège et qui vont bien à apprendre ce dimanche, qu´il y a des plaidoiries pédagogiques telles celles du jour de Maître Laceb et Abboud. D´ailleurs, ces derniers ont dû saisir au vol un espoir d´une bonne décision de la magistrate lorsqu´elle avait annoncé le verdict pour le 26 juillet, dans la mesure où cette Nacer avait déjà décidé le coup de grâce en annonçant sa décision en fin d´audience. Mais franchement, le duo d´avocats avait si bien plaidé la cause qu´un verdict favorable au paysan allait renvoyer aux vestiaires les impôts qui ont demandé 27 milliards de centimes à un pauvre petit bougre qui n´a visiblement sur lui, pas plus de 2700 euros, et encore!