Les virages devenaient de plus en plus nombreux à la sortie d´El Youssoufia. Mais, à la différence de la végétation présente sur les hauteurs qui marquent la limite de la wilaya de Aïn Defla, ici les arbres, pins ou chênes, avaient pris de la hauteur et assombrissaient un peu l´atmosphère. Devant le véhicule où devisaient calmement Noureddine et Si Boudjemaâ, une voiture immatriculée 16 lambinait, son conducteur occupait le milieu de la route et téléphonait sans se rendre compte qu´il gênait la circulation. Noureddine lui fit des signaux de phares puis klaxonna. Cela fut sans effet sur le personnage qui devait être dans une autre dimension. «Quelle éducation! Pourtant, c´est clair! celui qui téléphone devrait se ranger sur le bord de la route et téléphoner à son aise. On donne le permis de conduire à n´importe qui. Si je n´avais pas peur de commettre l´irréparable, j´essaierais de le doubler. Mais je suis sûr que lui, il n´a pas sué pour avoir sa voiture. Autrement, il ne se conduirait pas ainsi. Ça doit être un fils de la tchi-tchi à coup sûr. Rien à voir avec les deux malheureux jeunes que nous avons vus à la sortie d´El Youssoufia. Ils faisaient de l´auto-stop pour essayer de joindre Theniet El Had où ils doivent avoir un petit boulot. Car la vie ne doit pas être marrante à El Youssoufia. Cela ne m´étonne pas que les jeunes pensent à prendre la poudre d´escampette dès que l´occasion se présente: pas de travail ou, quand il y en a, c´est insuffisamment rémunéré, pas de loisirs. Ils doivent étouffer ici! Mais tu me diras que ce ne sont pas les jeunes ruraux qui deviennent harraga. Ce sont surtout les citadins qui sont soumis à la propagande de l´émigration clandestine. Ce sont les filières bien organisées des villes du littoral qui tiennent le miroir aux alouettes pour alimenter un trafic qui doit leur rapporter beaucoup d´argent. Le transport et les faux papiers constituent une source de profits appréciables pour des gens sans scrupules. Et rien n´est fait chez nous pour dissuader les jeunes de se lancer dans une aventure périlleuse. Ils croient qu´ils vont trouver le paradis de l´autre côté. Ils ne savent pas ce qui les attend si jamais ils arrivent vivants là-bas. Ils seront la proie de tous les exploiteurs sans scrupules. Le Maroc a diffusé, dernièrement sur l´une de ses nombreuses chaînes de télévision, un documentaire de propagande où sont mis en scène des harraga "repentis". Ils y dénoncent d´abord les filières et ensuite les patrons agriculteurs qui les exploitent d´une manière éhontée: ils sont sous-payés, travaillent et vivent nuit et jour sous des serres surchauffées. C´est infernal! Et pourtant, il y a des jeunes qui préfèrent cet enfer-là au chômage ou au manque de perspectives. D´ailleurs, dans ce documentaire où l´on met à l´index les marchands de sommeil espagnols et les exploiteurs, on ne parle pas des progrès extraordinaires accomplis par l´agriculture espagnole. Ils sont arrivés au stade industriel de la production agricole: tout y est conditionné: la température, l´arrosage et même la terre dans laquelle poussent les plants de produits maraîchers, elle est artificielle. Elle contient des nutriments chimiques. Pas étonnant que l´Espagne ferme les yeux sur l´émigration clandestine!»