Mourad R., dix-neuf ans, avait sur le dos six poursuites. A Koléa, il s´en sort net, nettoyé, innocenté...six fois. Mourad R., dix-neuf ans, chômeur, a eu pratiquement une audience spéciale avec les six affaires inscrites au rôle de dimanche dernier. Sur le total des six affaires, une seule n´avait pas trait au vol de portable et de sac à main à l´arraché et sous la menace. A un moment donné et au bout d´une heure de questions-réponses, réquisitoire-plaidoirie et verdict, Hadj Rabah Barik, le président de la section correctionnelle du tribunal de Koléa (cour de Blida), s´était exclamé: «Eh ben, alors, voilà une audience lassante pour un seul inculpé, sans évoquer les mandats d´arrêt!» Le juge venait de, bien entendu, plaisanter mais, dans les faits, le magistrat voulait lancer un message que c´était là une perte de temps surtout que pour la sixième affaire, Saïd F., la victime que le papa avait présenté comme étant un cardiaque, menacé à tout moment par un arrêt du coeur suite à des chocs, avait affirmé que Mourad lui avait enlevé le portable pour le lui restituer quelques instants plus tard. «Donc, ce n´est pas un vol, car voler quelqu´un c´est lui prendre quelque chose et s´en accaparer», avait souligné le juge du siège. Ce procès en opposition a permis à Maître Zakia Tabarli, son avocate, de soupirer devant ce retournement de situation et demander l´annulation de l´an de prison ferme, de l´amende et de prononcer la relaxe car, visiblement, cette jeune victime, Saïd F, était venue se plaindre de coups et blessures, un délit qu´elle n´avait jamais évoqué lors du dépôt de plainte pour vol de portable. Un vol qui n´a finalement pas eu lieu car, selon sa réponse au tribunal, le portable lui avait été restitué. «Et alors, pourquoi avoir déposé plainte puisque vous aviez repris votre bien?», dit, en toute innocence, le juge qui sentait la perte de temps pointer du nez, du fond de la salle qui verra le père de la «victime» répondre: «Mon fils est cardiaque. Il ne peut pas s´exprimer longtemps avec la position debout. Mon fils a déposé plainte car il a considéré comme une atteinte morale par le seul geste que ce type ait arraché l´appareil des mains de mon fils.» Hadj Barik, le juge, laisse le vieux piétiner les procédures propres aux juridictions car on n´a pas idée de se lever en pleins débats pour prendre la parole et répondre à la place du fiston même malade. Le président ira plus loin en martelant que la victime est dans le sillon du dérangement des travaux du tribunal qui a sous les yeux un dossier de vol de portable: «Donc, il n´y a pas lieu de soulever un autre problème de coups et blessures volontaires», redit le magistrat qui va encore une fois marteler que dans cette salle, il n´y a de place qu´aux seuls dossiers enrôlés. Les histoires parallèles, les bric-à-brac, les propos balancés à la «cahin-caha», les expressions malvenues sont proscrits. Le juge passera alors aux affaires suivantes: il en restait cinq dont quatre pour vols dont un vol de sac à main devant l´arrêt de bus de Douaouda (Koléa). La victime était là, debout, sûre d´elle. «Ils étaient trois dans les environs. Ils m´ont exigé la remise du sac avant de s´évanouir dans la nature», a-t-elle expliqué avec beaucoup d´émotion. Une émotion qui a fait que l´assistance avait suivi les débats avec ceci de particulier: Mourad R. a comparu tout seul et répond à une convocation de la justice qui l´avait condamné par défaut avec un mandat d´arrêt et ce qui poussera Hadj Barik, le magistrat, à articuler sans battre des cils: «Les faits ont démontré que vos deux copains, ceux-là mêmes qui étaient avec vous le jour du vol, avaient raconté en votre absence que c´était vous qui aviez pris le sac à main contenant de l´argent, des dinars et des devises. Qu´en pensez-vous?». Le détenu parle d´une voix presque inaudible et nous arrivons à saisir que c´étaient des propos dits par des inculpés. Maître Tabarli son avocate, en superforme, va plus en avant lors de sa plaidoirie: «M. le Président, vous savez avec votre riche expérience que le témoignage d´un inculpé à l´encontre d´un autre est nul et non avenu. Et comme nous savons que ce tribunal est respectueux de la loi, nous avons la ferme conviction que les trois ans de prison ferme réclamés par le procureur ne passeront jamais. Malek Drissi, en bon Berbère boute en-train, grimace et sourit pour aller jusqu´au ricanement pour ne pas laisser le ministère public de Koléa, orphelin ce dimanche, veille de l´Aïd El Adha», a articulé la sympathique avocate qui était franchement abordable depuis la rentrée...Victime de sentiment d´autoflaggelation et pris de remords un jeune manoeuvre entre dans une sûreté urbaine et raconte comment il s´est pris pour cambrioler un local, la nuit. Il est entré pour se constituer prisonnier, dans le but évident d´en finir avec le remords, les regrets d´une action nocive pour un jeune. Deux mois plus tard, en l´absence de la victime et en présence de sa seule avocate, maître Zakia Tabarli, la massive, il nie tout ce qu´il a déclaré au procès-verbal de la police. Il a si bien nié que Hadj Barik, le juge, s´était posé cette question: «Mais pourquoi donc tout ce scénario?» Le détenu reste muet. Il a, lui semble-t-il, oublié ce qu´il avait dit aux policiers. Il est incapable même de se souvenir de ce qu´il avait pris au dîner la veille du procès du jour. Son avocate, à l´air jovial, plaide sereinement la relaxe car dans ce dossier, le détenu nie farouchement, la victime ne s´est pas déplacée et il n´y a aucun témoin pour surprendre ce jeune inculpé. Ce jeune inculpé au comportement bizarre. Un comportement qui veut qu´un jeune presque mineur- il est âgé seulement de dix-neuf ans et quatre mois! -aille d´une rive, celle de la paix à l´autre, l´enfer. S´appuyant sur cette histoire d´amnésie momentanée de son client, le conseil va s´étaler sur l´absence d´éléments constitutifs pour le châtier. «Et donc, seules la relaxe et la liberté sont à prendre, histoire de ne pas piétiner les droits fondamentaux des citoyens.» Et si le jeune Mourad a échappé à six demandes de Malek Drissi, le procureur de l´audience, c´est grâce, en partie au show de la magnifique avocate, Maître Zakia Tabarli, qui a eu la pugnacité et l´acharnement face à Hadj Barik, le président, connu pour être partisan de la rectitude, de l´honnêteté et surtout a un esprit farouchement indépendant pour rendre justice et seulement justice. Mourad passera donc la fête de l´Aïd El Kébir chez lui, au milieu des siens.