Le travail de la forge n´était évidemment, qu´un appoint pour le grand-père: la plus grande partie de son temps était consacrée aux travaux des champs. Il avait ainsi, pu bénéficier des conseils et de l´aide de son beau-père qui, pour son grand bonheur, n´avait point d´héritier mâle qui prendrait le relais. Ainsi, les champs du piémont où le terrain était plutôt caillouteux, étaient consacrés à la culture des fèves, des lentilles et des pois chiches, tandis que sur le vaste espace qui s´étendait dans la plaine, il y cultivait tantôt du blé, de l´orge ou du sorgho. Ces denrées constituaient les aliments de base de la famille et les femmes contribuaient de leur côté à rentabiliser les petits jardins potagers qui étaient situés dans le quartier humide. Oignons, courgettes, piments, cardes et divers condiments agrémentaient les repas austères du paysan qui n´avait point de repos: il devait labourer, ensemencer, piocher les pourtours des arbres ou les espaces qui devaient recevoir plants ou semences, tailler les arbres, nettoyer les aires, s´occuper des bêtes qui consistaient en une paire de boeufs, nécessaires pour les labours ou en une ou deux vaches dont l´élevage était primordial pour l´agrandissement ou la perpétuation du troupeau et pour le lait et le beurre. Ces deux produits laitiers n´étaient pas d´une grande consommation mais le paysan aimait quand même arroser son couscous, de lait caillé ou de petit-lait. Il y avait aussi quelques chèvres dont le lait pouvait servir à dépanner les mères qui allaitaient. Les caprins, plus que les ovins, étaient rentables, car leur nourriture ne posait pas de problème: ils pouvaient paître à longueur d´année dans la garrigue des collines avoisinantes sans causer quelque dommage aux arbres fruitiers ou aux récoltes. Un garçon sorti précocement de l´école suffisait à leur garde. La famille se contentait d´élever un agneau destiné au prochain Aïd: cela lui évitait de débourser de l´argent et ma foi, la grand-mère prenait souvent du plaisir à aller au champ suivie fidèlement du mouton qu´elle allèche de temps en temps avec une figue cachée dans la main calée contre son dos. Ce sont les épouses qui fournissaient le plus gros travail, souvent invisible: outre l´entretien de la maison, les enfants, la lessive, la cuisine et souvent des travaux de tissage, elles ramassaient les olives qu´elles traitaient ensuite pour en extraire l´huile précieuse qui devait suffire à la consommation annuelle de la famille et elles revenaient souvent fourbues à la maison avec un fagot de bois sur la tête. La cuisine se faisait avec le bois mort ramassé lors de la taille des arbres ou le nettoyage des haies, tandis que le chauffage avait pour principaux combustibles durant les longues et froides nuits d´hiver, des souches de bruyère et des noyaux d´olives qui crépitaient le soir, ponctuant intempestivement les discussions des veillées. Il serait difficile de concevoir les travaux champêtres sans l´apport considérable de la femme. D´ailleurs, dans le monde paysan, les critères requis pour le choix d´une épouse sont souvent, outre les liens qui unissent les familles, la santé et la réputation de travailleuse de la jeune fille qui a déjà fait ses preuves dans la maison paternelle: les vieilles femmes qui font office de marieuses sont attentives au comportement des filles nubiles dès que celles-ci mettent le pied à l´extérieur: que ce soit à la fontaine publique d´où elles ramènent l´eau nécessaire à la maison dans une incessante navette ou pendant qu´elles exercent auprès de leurs mères l´activité de lavandière dans l´espace de la fontaine réservé aux femmes. Cependant, les rencontres entre les jeunes gens peuvent avoir lieu lors des nombreuses visites aux marabouts ou sur les sentiers des champs où les filles suivent leurs mères les yeux pudiquement fixés au sol.