«Si ces gredins (les Algériens) se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac; fumez-les à outrance comme des renards.» (Bugeaud, 11 juin 1845) Cette semaine, nous allons devancer l´actualité. Après-demain c´est le 11 décembre. Il y a un demi-siècle, le 11 décembre 1960, les Algériens sont sortis dans la rue manifester haut et fort leur désir d´indépendance. Une des nombreuses étapes qui ont jalonné leur longue histoire sous le joug de la colonisation avec son lot de martyrs, de sang et de larmes. En ce jour de décembre, les chiffres officiels français font état de 112 morts. Chacun sait que les officiels français revoient toujours à la baisse les chiffres de leurs massacres. Les multiplier par 10 n´est nullement exagéré. Il n´y a qu´à revisiter les nombreuses fois où la barbarie des «civilisateurs» s´est donné libre cours pour s´en convaincre. Remontons plus avant, au début de la colonisation, pour saisir le degré de sauvagerie dont a fait preuve l´armée coloniale et la manière désinvolte avec laquelle ses représentants présentent les faits. Prenons par exemple les enfumades et les emmurades qui furent pratiquées par les militaires français contre les civils algériens. La première de ces méthodes «guerrières» est à mettre à la «gloire» du général Cavaignac. C´était le 11 juin 1844, dans la région de Chlef (Orléansville à l´époque). Le récit de Canrobert qui était lieutenant-colonel sous les ordres de Cavaignac suffit. Ecoutons-le: «J´étais avec mon bataillon, nous allions chatier les Sbéahs (il s´agissait en réalité des Ouled Sbih habitant la région). Après deux jours de course folle à leur poursuite, nous arrivons devant une énorme falaise à pic. Dans la falaise est une excavation profonde formant grotte. Les Arabes s´y sont cachés. On pétarda l´entrée de la grotte et on y accumula des fagots, des broussailles. Le soir, le feu est allumé. Le lendemain, tous hommes, femmes et enfants étaient morts (asphyxiés)...». La méthode plut si bien à Bugeaud qu´il fit une note écrite, datée du 11 juin 1845, à tous le corps expéditionnaire: «Si ces gredins (les Algériens) se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac; fumez-les à outrance comme des renards.» Une semaine après cette note, le colonel Pélissier s´en donne à coeur joie. Dans la région qui se trouve entre Ténès, Cherchell et Miliana, il extermina les Ouled Riah qui y habitaient. Plus de 1000 personnes. Hommes, femmes, enfants, vieillards. Après le massa-cre, Pélissier écrit: «La peau d´un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables.» Le 8 août de la même année, Saint-Arnaud qui, 7 ans plus tard deviendra ministre de la Guerre, retrouve près de Mostaganem quelque 500 rescapés des Ouled Sbih qui avaient réussi à échapper à l´enfumade, citée plus haut, de Cavaignac. Eux aussi, malheureusement, à la vue des soldats français se réfugient dans une grotte. Voilà comment Saint-Arnaud s´en «glorifie»: «Je fais boucher hermétiquement toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne que moi ne sait qu´il y a dessous 500 brigands. J´ai fait mon devoir». Restons dans les témoignages et reprenons des extraits d´une lettre d´un soldat à sa famille: «Quelle plume saurait rendre ce tableau? Entendre les sourds gémissements des hommes, des femmes, des enfants et des animaux. Il y eut une terrible lutte d´hommes et d´animaux. J´ai vu un homme mort la main crispée sur la corne d´un boeuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras (tous morts). Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié ainsi que la femme, l´enfant et le boeuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal.» Plus tard, le même Saint-Arnaud fit mieux lors de la prise de Constantine qu´il reconnut lui-même avoir été une «boucherie». La même haine, la même sauvagerie s´abattirent sur les habitants des régions de Kabylie. Aucune parcelle du territoire n´échappa à cette «oeuvre civilisatrice». Il est du devoir de nos dirigeants de recenser toutes ces grottes, tous ces lieux, de les protéger et de les classer «lieux de mémoire». C´est le droit de toutes les générations. Présentes et à venir. Samedi, nous nous recueillerons à la mémoire de nos martyrs du 11 Décembre 1960 mais également à celle de tous ceux qui sont tombés avant eux. De 1830 à 1962. Un siècle et demi de cadavres. ([email protected])