Par le Dr Chamyl Boutaleb El-Hassani Introduction �Sidi Brahem� restera dans les annales de l'arm�e coloniale fran�aise en Alg�rie, comme l'une de leurs trois plus cuisantes d�faites apr�s celle d�El- Megta'� et les deux retraites de Constantine. Tout a commenc� le 4 septembre 1845 quand le mar�chal Bugeaud (alors gouverneur-g�n�ral) embarqua pour Paris, laissant l'int�rim au g�n�ral Lamorici�re, lequel passa son commandement par int�rim de la division d'Oran au g�n�ral de Bourjolly qui, devant se d�placer � la subdivision de Mostaganem, transmit l'int�rim de la division au g�n�ral Thi�ry. Le g�n�ral Cavaignac commandait alors la subdivision de Tlemcen. Le lieutenant- colonel de Barral commandait �l'arrondissement de l'Ouest� jusqu'au port de Djema�-Ghazaouet. La colonne de l'Ouest comprenait le 10e bataillon de chasseurs d'Orl�ans, 1 bataillon du 15e l�gers, 2 escadrons du 4e chasseurs d'Afrique et 1 section d'artillerie de montagne. Lamorici�re confia l'organisation du port de Djema�-Ghazaouet au lieutenant-colonel de Montagnac qui avait sous ses ordres le 8e bataillon de chasseurs d'Orl�ans (command� par Froment-Coste, Dutertre �tant son capitaine adjudant-major), 1 escadron du 2e hussards, plus des hommes de l'artillerie, du g�nie et de divers corps. La bataille Le 21 septembre 1845 au soir, Montagnac, contre toute attente et bon sens, probablement par orgueil d�mesur�, voulant peut-�tre voir de plus pr�s cet insaisissable ennemi, donna ses ordres � Courby de Cognord, Froment-Coste et de Barral, pour aller � la rencontre des troupes d'Abd-El-Qader et de son khalifa Bouhmidi Oulhaci qui doivent rentrer du Maroc. De Barral avait rassembl� 354 officiers et hommes de troupes, 69 pour Courby de Cognord, en plus des 300 hommes de Froment-Coste. Vers 22h la colonne passe par Beraoun, traverse Souahlia et longe le bas coteau de Zaouiyet-El-Mira. Le 22 au matin la colonne bivouaqua, ayant appris que les 1 000 cavaliers de l'Emir seraient � Sidi-Boudjenane le 23 au soir. Vers 13h, bivouac � nouveau sur la rive droite de l'oued Taouli � 1 km au sud de la maison appel�e Dar Sidi Bou-Rahal (� ce point l'oued Taouli change de nom en oued Ben-Deffal). Zaouiyet El- Mira se trouve au nord du confluent form� par la r�union de l'oued Taouli, de l'oued Moussa El-Anber et de l'oued Mettous. Vers 15h toute la colonne est en position. Dans de beaux draps ! A cause de son ent�tement et de son mauvais sens du jugement, Montagnac s'est fait prendre � son propre pi�ge. Il devait commencer � engager les combats le lendemain 23 septembre 1845 � partir de 6h 30 du matin. La suite nous la devinons ; l'Emir appliqua la tactique de l'enveloppement : la tenaille en place, l'�tau se refermera en exterminant toute la colonne : pr�s de 700 morts ; quelques prisonniers. Parmi les 14 rescap�s, 10 seront achev�s par les femmes des Ouled Ziri ; 1 seul, le caporal Laveyssi�re, a conserv� son arme. En 1853, l�arm�e fran�aise a �difi�, sur le sommet d�un monticule connu sous le nom de Rokbet Mezzoudi (un des contreforts de la petite cha�ne du Guerbous, au revers du djebel Kerkour, sur la route conduisant de Sidi Boudjenane � Ghazaouet et � 25 km de cette ville), un monument comm�moratif. Dans la nuit du 17 au 18 mars 1888, ce monument fut totalement d�truit par la foudre et reconstruit la m�me ann�e dans les m�mes proportions. L�ob�lisque existant sur la �place d�Armes� d�Oran a �t� �difi� en 1898 � la m�moire des soldats fran�ais tomb�s � Sidi Brahem et inaugur� en grande pompe le 23 septembre 1898 en pr�sence du gouverneur g�n�ral. A l�ind�pendance, l�effigie de l��mir Abd- El-Kader fut scell�e sur les quatre faces du monument qui est cependant toujours surmont� par la statue de �la Victoire ail�e�. Les restes des soldats fran�ais tomb�s � Sidi Brahem furent rassembl�s dans un ossuaire appel� �tombeau des Braves�. Il s�agit d�un monument fun�raire qui se trouvait sur les bords de la rivi�re que longe la vieille route conduisant de Ghazaouet � Nedroma, au pied de l�escarpement qui sert de rempart au village des Ouled Ziri, entre la route et la rivi�re, nomm�e en cet endroit Oued El- Mersa. C�est dans le ravin proche que les rescap�s de la �bataille de Sidi Brahem� furent achev�s � coups de batte par les femmes des Ouled Ziri (qui �taient en train de laver le linge et dont l�une d�elles, h�ro�ne s'il en fut, avait pour nom El-�afia). L�ossuaire sera transf�r� en France en 1962 et en 1965, dans le mus�e des chasseurs au vieux fort de Vincennes. Par le �tombeau des braves�, les Fran�ais reconnaissent que l'Emir ne combattait que de v�ritables soldats professionnels. Apr�s la bataille de Sidi Brahem, les troupes fran�aises, augment�es de 14 divisions en plus des 6 divisions d�j� existantes, soit un total de plus de 120 000 hommes, s'acharneront contre les populations civiles sans d�fense (vieillards et enfants) en un v�ritable g�nocide jamais �gal� � d�faut de s'attaquer � l'Emir. Les repr�sailles Les commandants en chef de l'arm�e fran�aise se ruaient impitoyablement contre toutes les tribus alg�riennes, proies syst�matiques du g�nocide et du pillage. Saint-Arnaud, Youssouf, Montagnac, Cavaignac se livraient aux massacres les plus ignobles et les plus odieux. Le pays est en feu, saccag�, min� eu �gard � la politique impitoyable du d�sastre que lui opposent Bugeaud et ses hommes. Ses officiers font �tat dans leurs correspondances de choses horribles (pillage syst�matique, incendies des villages et des r�coltes, prises d'otages, viols, massacres). L'objectif �tant de ruiner compl�tement les tribus et les obliger � abandonner Abdelkader. Il �tait licite de glorifier les massacres et les criminels et de rendre compte sans pudeur des m�faits commis contre les tribus alg�riennes. Les �crits d'historiographes de la colonisation constituent sans nul doute le plus gros en mati�re d'archives se rapportant � la conqu�te de 1830. Presque tous les officiers de l'arm�e fran�aise ont sign� des comptes-rendus � leurs sup�rieurs retra�ant les exp�ditions et autres razzias. M�me dans leurs correspondances priv�es, officiers ou parfois de simples soldats, racontaient � leurs proches comment se d�roulait l'invasion de l'Alg�rie. Montagnac ou Saint Arnaud par exemple se vantaient d'avoir �t� les auteurs les plus z�l�s de massacres et de tueries collectives. C'est dans ce m�me esprit que le colonel Robin, qui a particip� � la r�pression de l'insurrection de 1871, proclame avec force que �la race sup�rieure, porteuse d'une civilisation, �tait autoris�e � massacrer la race inf�rieure dans son propre int�r�t� (sic). C'�tait une th�orie officielle qui couvrait naturellement tous les m�faits et tueries collectives commis en terre conquise. Personne donc n'avait honte de le cacher. Bien au contraire, plus on tuait d'Arabes, plus on avait la chance de gravir les �chelons de la hi�rarchie militaire. Bugeaud changea de tactique et opta pour celle qui avait permis aux Romains dans les m�mes circonstances d'occuper les deux Maur�tanies et la Numidie, c'est�- dire la mise sur pied de colonnes qu'il pla�a sous le commandement des g�n�raux Lamorici�re, Youssouf, Marey, Saint-Arnaud et de lui-m�me, avec pour mission de contr�ler le territoire d'Est en Ouest. Le 25 octobre 1845, l�agglom�ration de Taount fut d�truite sur ses ordres. La strat�gie de l�arm�e coloniale reposait sur la technique de �la terre br�l�e� appliqu�e syst�matiquement. Il s'agissait pour les envahisseurs d'incendier et de piller les r�gions d�vast�es. Les correspondances des g�n�raux fran�ais eux-m�mes nous renseignent sur la guerre d'extermination men�e par l'arm�e fran�aise. �Nous tirons peu de coups de fusil, nous br�lons tous les douars, toutes les villes, toutes les cahutes� On ravage, on br�le, on pille, on d�truit les maisons et les arbres. Pour chasser les id�es noires qui m'assi�gent quelquefois, je fais couper des t�tes�, disait Saint Arnaud. Les enfumades des populations furent op�r�es avec l'assentiment de Bugeaud : �Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbeha. Fumez-les � outrance comme des renards.� �Ce que nous faisons des femmes que nous prenons ? On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont �chang�es contre des chevaux et le reste est vendu � l'ench�re comme b�tes de somme� (Montagnac). Aux massacres, destructions et incendies, il faut ajouter les contributions de guerre impos�es aux populations. Un historien fran�ais socialiste n'a pas h�sit� � �crire : �Les g�n�raux �lev�rent la d�vastation � la hauteur d�une doctrine. Ils ne br�l�rent pas le pays en cachette et ne massacr�rent pas les ennemis en faisant des tirades humanitaires. Ils s�en firent gloire, tous !� Le lieutenant-colonel Montagnac �crit de Philippeville le 15 mars 1843 : �Toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent �tre ras�es. Tout doit �tre pris, saccag�, sans distinction d'�ge ni de sexe : L'herbe ne doit plus pousser o� l'arm�e fran�aise a mis le pied. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu'en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j'ai l'honneur de commander sont pr�venus par moi-m�me que s'il leur arrive de m'amener un Arabe vivant, ils recevront une vol�e de coups de plat de sabre ; (...) Voil�, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu'� l'�ge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les b�timents, les envoyer aux �les Marquises ou ailleurs. En un mot, an�antir tout ce qui ne rampera pas � nos pieds comme des chiens.� Saint-Arnaud a avou� avoir ��t� forc� de faire le Caligula�. Le g�n�ral P�lissier enfermera 500 hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled Riah dans une grotte et les fera p�rir par asphyxie, �enfum�s comme des b�tes puantes�. Bugeaud, qui avait, en 1845, ravag� plusieurs villages kabyles, accus�s d'avoir seulement donn� l'hospitalit� � l'Emir, avouait avec la franchise du soldat t�tu : �Nous avons beaucoup d�truit, peut-�tre me traiteront nous de barbares. Mais je me place au-dessus des reproches de la presse quand j�ai la conviction que j�accomplis une ?uvre utile � mon pays.� Quatorze divisions, enti�rement �quip�es avec leur infanterie, leur cavalerie et leur artillerie, parcoururent le territoire condamn�, �crasant, par le fer et le feu, toute r�sistance, o� qu�elle appar�t. Les hommes �taient massacr�s sans merci, les habitations br�l�es sans piti�, les r�coltes livr�es � l�incendie, les fugitifs �touff�s vifs dans des cavernes. Saint-Arnaud menait �la colonne infernale�. Conclusion Paradoxe ! C'est Bugeaud, ce dur soldat, qui fl�trira le mieux pareilles pratiques et, dans son dernier rapport au ministre de la Guerre, r�digera la plus virulente diatribe anticoloniale : �Vous envahissez leurs terres, en grande partie avec le rebut des nations d�Europe, en pr�tendant leur apporter la civilisation sous les haillons de ces mis�rables, introduits soit par le gouvernement, soit par les grands seigneurs � qui vous distribuez la terre des Arabes. Vous resserrez ceux-ci chaque jour sur leur sol� Vous leur faites payer des imp�ts que, d�apr�s la loi, ils ne doivent que pour leurs ?uvres religieuses. Vous les soumettez � des corv�es continuelles, soit pour approvisionner vos colonnes et vos places, soit pour labourer la terre de leurs �tranges civilisateurs. Vous les faites marcher avec nous � la guerre pour combattre leurs fr�res. Par tous les points, vous blessez leurs m?urs, leurs int�r�ts, leur religion.� Une fois de plus, l�Alg�rie �prouvait toute la force de la civilisation europ�enne, mais d�une civilisation enti�rement d�pourvue de cette charit� qui devait en �tre la marque. C. B.-E.-H. Sources : �Rapports militaires� : Biblioth�que priv�e du Pr Hassane Sohbi-Oran Campagnes d'Afrique 1835- 1848 : recueil des principales correspondances d'officiers sup�rieurs publi� en 1898 -Plon-Paris. Correspondances d'officiers sup�rieurs : Gabriel Esquer - d�but du XXe si�cle. Lettres d'un soldat par le lieutenant-colonel de Montagnac, Plon �d., Paris, 1885 r��dit� par Christian Destremeau, 1998.