On me faisait remarquer tantôt que dans nos marchés, il n´y avait pas de femmes. C´est vrai que les femmes n´étaient pas admises dans les marchés: la preuve est qu´il était rare et mal vu qu´un homme et une femme entretiennent des relations commerciales. Quand un chef de famille devait partir pour un long voyage ou pour le pèlerinage, il chargeait toujours un membre très proche de sa famille ou de sa belle-famille de pourvoir aux besoins de sa famille. Cela était vrai pour les grands marchés, ceux qui drainaient une grande foule. Ce n´était pas le cas des petits marchés communaux où, comme je l´avais indiqué, se tenait, en marge du marché, un groupe de femmes qui vendaient des poteries. Elles étaient toutes d´un âge canonique et elles devaient avoir un statut de chef de famille en l´absence d´un époux ou d´un fils adulte. Toutes devaient être obligées de travailler pour vivre et faisaient preuve d´un dynamisme et d´une discrétion étonnants. Elles venaient toutes du même village situé à une dizaine de kilomètres à l´est de Thadart. Ce village s´était spécialisé dans la poterie car il disposait d´un grand gisement d´argile, de bonne qualité. Les poteries étaient assez rudimentaires et consistaient en cruches, en pichets, en tadjins ou en grands plats destinés au couscous ou à la pâte à pain; quelques lignes brisées ou ondulées noires étaient le seul ornement de cette vaisselle de première nécessité. Il fallait faire des commandes spéciales pour acquérir les grandes jarres qui contiendront la consommation annuelle d´huile. Les cruches et les pichets étaient appréciés car ils donnaient à l´eau une saveur particulière et la maintenaient à une température assez fraîche. C´était toujours agréable de se désaltérer dans un récipient où brillent de petites pépites de mica coincées dans l´argile. Un autre village fournissait les cuillères, les louches et les plateaux en bois pour aplatir la galette. L´équipement d´une maison en ustensiles était assez modeste. Il n´était pas rare que pendant les fêtes, les invités, qui se groupent autour d´un grand plat, ne soient obligés de se passer la cuillère pour goûter assez symboliquement au couscous offert. Les gens, pendant les repas collectifs donnés à l´occasion des mariages ou des «ouâada», ne cherchaient pas à s´y rassasier mais faisaient honneur tout simplement au chef de famille: leur présence était une marque de considération. Et il ne viendrait pas à l´idée de quelqu´un de refuser de manger avec la même cuillère que son voisin ou de ne pas boire dans le même pichet. Le marché n´était pas seulement un lieu d´échanges commerciaux ou de troc: c´était aussi une occasion de revoir les amis ou des alliés qui habitent assez loin. Celui qui se rendait au marché se ravitaillait en produits et en informations utiles. Il n´était pas rare que cette journée ne soit consacrée à une démarche auprès du caïd pour le prier d´appuyer une demande ou pour solliciter une aide quelconque concernant un problème donné. C´est autour d´un thé que les connaissances menaient palabres sur l´état du âarch dont ils étaient originaires. Les notables se distinguaient, été comme hiver, par un burnous très fin posé sur une gandoura immaculée tandis que les gens plus modestes s´enroulaient dans un burnous de grosse laine et ne mettaient, par temps très chaud, qu´une gandoura. La plupart portaient des chapeaux de paille qui protégeaient des ardeurs du soleil. Les bergers et les convoyeurs de troupeaux se distinguaient par leurs chaussures: de grossiers mocassins faits de peau de boeuf et attachés avec des lanières de la même matière. Le marché était un évènement si important que beaucoup de gros villages qui avaient l´habitude d´abriter cette manifestation, ont vu leur nom ou le nom du âarch accolé au jour de semaine où se tient le marché: Lethnayen Bouaghriv pour les Aghribs, Lâarbâa Nath Irathen, Elhad Nath Bouchaïb, El Djemâa...