«Al Jazeera a joué un rôle magnifique, mais elle n´a pas fait la révolution. Ce sont les gens qui sont descendus dans la rue. Les médias n´ont fait que réinjecter l´information à grande échelle.» Houeida Anouar, la blogueuse tunisienne Au moment où l´Egypte ferme son bureau d´Al Jazeera au Caire, celle-ci ouvre officieusement un bureau à Tunis, installé momentanément à l´hôtel Africa. Jusqu´ici, Al Jazeera avait été empêchée d´ouvrir un bureau à Tunis, mais aujourd´hui la chaîne qatarie inaugure cette nouvelle phase, en attendant de lancer officiellement le bureau Maghreb dans la région. Ce sont les journalistes d´origine tunisienne d´Al Jazeera, qui vont tenir le bureau en attendant l´installation d´un chef de bureau. Il s´agit de Mhamed Krichen et Leïla Chaïeb, les deux présentateurs vedettes de la chaîne arabe. Il faut dire que les relations entre Ben Ali et Al Jazeera n´ont jamais été bonnes. En 2006, Tunis rappelle même son ambassadeur à Doha, parce qu´Al Jazeera a diffusé une interview de Moncef Marzouki, un dissident historique. Al Jazeera avait pourtant un correspondant permanent, le journaliste Lotfi Hadji, qui intervenait sur l´antenne par téléphone, à la manière d´un intervenant extérieur. De la longue révolte en 2008 des ouvriers des mines de phosphate à Gafsa, dans le centre du pays, les spectateurs d´Al Jazeera n´ont rien vu. A l´exception de quelques images tournées par une télévision pirate et diffusées sur France 3: la répression, impitoyable, s´est déroulée à huis clos. Mais dès les premières manifestations à Sidi Bouzid, à la mi-décembre, les vidéos amateurs, tournées au téléphone portable postés sur des sites d´information alternative tunisiens comme Nawaat ou Takriz, reprises en boucle sur les réseaux sociaux comme Facebook ou YouTube, atterrissent dans la salle de rédaction d´Al Jazeera qui décide de les diffuser. Le soir de la chute de Ben Ali, la chaîne sollicite la réaction du frère de Mohamed Bouazizi, le marchand ambulant dont l´immolation par le feu a déclenché le soulèvement le 17 décembre 2010. «La politique, j´y comprends pas grand-chose, répond-il en direct. Tout ce que je peux dire, c´est que le peuple tunisien, il a assuré aujourd´hui.» Comble de l´ironie, c´est sur la télévision publique tunisienne que la famille Bouazizi s´est exprimée ouvertement sur leur rencontre avec le président Ben Ali, racontant comment elle a refusé 20 millions de centimes que les conseillers du président ont offert à la famille Bouazizi. Grâce à cette révolution, Al Jazeera s´installe enfin à Tunis, mais pas facilement, car elle devra faire attention aux télévisions tunisiennes privées et publiques qui voient d´un mauvais oeil l´installation d´Al Jazeera à Tunis. [email protected]