CETTE DAïra n'en finit pas de compter ses malheurs. Après le séisme du 21 mai qui a fait plus de 2 169 victimes, selon un bilan toujours provisoire, Bab El-Oued qui, à l'instar de toutes les localités de l'Algérois, a fortement ressenti jusque dans ses entrailles l'onde de choc, semble reprendre goût à la vie. Néanmoins et dès les premières heures de la matinée d'hier, l'on y évoquait encore l'épouvantable soirée de la veille du week-end dernier. Et même si l'on feint d'oublier ce qui s'est passé, les murs fortement lézardés et quelques appartements éventrés sont là pour rappeler l'effroyable mercredi. Si le jour, les marchés sont normalement animés la nuit est là pour rappeler que les affres de l'onde sismique sont encore présents; les habitants des quartiers sinistrés, comme ceux de la rue du Dey, investissent les alentours du CHU Maillot pour passer leur nuit, qui à la belle étoile, qui dans sa voiture... Dans ce quartier plus précisément, nombreuses sont les familles qui ont reçu le toit de leurs bâtisses sur la tête, à croire que le dernier séisme vient d'achever ce qu'avaient déjà entamé les inondations. Bab El-Oued n'en finit pas de compter ses malheurs. A la lisière du CHU et à mi-chemin de la poste, le quartier du Dey dont l'âge remonte au XIXe siècle, résume à lui seul l'état plus que précaire d'une population vivant au jour le jour les déboires de la mal vie qu'engendrent des conditions d'habitat à la limite de l'infrahumain : plus de 25 familles y vivent sous la menace permanente de l'effondrement imminent d'un immeuble fait de charpente en bois qui ploie sous le poids des années et des effets implacables des facteurs naturels parfois violents. Le quartier du Dey est véritablement l'exemple type du maillon névralgique de la ville. Par le spectacle désolant qu'il offre, il crée une dissonance criante entre la ville «coloniale» et celle construite par les «maures». La curiosité nous pousse tout de même à nous y hasarder. Conduits par ses locataires «de plus en plus déçus par un Etat qui tarde à se manifester», nous y découvrons tout l'univers d'un haouch, comme oublié, au coeur même de la capitale. Au n°7, nous sommes littéralement happés par une femme, MlleSouag, qui dit «végéter ici, depuis 1989 en dépit des promesses successives des pouvoirs publics», nous sert de guide dans les dédales de la construction qui semble appartenir à un autre âge. «Tout le monde est d'accord pour dire que les dommages sont ici importants», dit-elle, se référant certainement à l'équipe du contrôle technique qui aurait inspecté le vieil édifice. Nous entraînant par le bras, elle nous conduit dans ce qui s'apparente à un salon où les murs sont carrément éventrés. Des affaires jonchant le sol sont empaquetées dans des sacs noirs et attendent un hypothétique déménagement. «Je fais partie des familles qui ont bénéficié de logements sociaux en 1989; l'on m'a attribué un F2 aux Eucalyptus que j'ai cédé à une autre personne. Je suis une enfant de chahid et je refuse par principe de prendre un F2», ajoute-t-elle. Ses voisins d'infortune, la famille Merdouha, ne manquent pas, eux aussi, de nous faire découvrir l'affreux décor de leur quotidien: au seuil de leur porte, un cratère béant menace d'engloutir quiconque s'y hasarde sans précautions préalables. Une fois à l'intérieur, ce qui reste du plafond menace de s'effondrer sur un parquet déjà défoncé. Il est aisé de voir les lattes fines qui servaient à maintenir le plâtre du plafond. Noircies par le temps et rongées par l'humidité et autres bestioles friandes de bois, elles laissent, à leur tour, apparaître les tuiles rouges encore sur place, par miracle. Belkacem, un enfant de huit ans, nous fait même cette confidence : «Nous entendons les oiseaux sur les tuiles!» Ce dernier habite en fait le n°11 de la rue du Dey. Il vit avec toute sa famille de sept personnes dans un F3. Une famille que nous approchons et qui nous apprend qu'elle passe toutes les nuits avec la peur au ventre; celle de l'effondrement. Elle nous invite pour voir un détail pour le moins insolite: les murs de cloisonnement ne séparent plus rien: à travers les fissures et l'épanchement inquiétant du cadre des mansardes il est possible de voir ce qui «se passe chez le voisin». En attendant, les oubliés de Bab El-Oued prennent leur mal en patience, mais une douleur sourde se lit sur les visages de ces personnes qui disent avoir trop attendu.