«Si vous ne faites pas de politique dans ce pays, la politique s'occupera de vous, et même si vous la fuyez, elle vous traquera jusqu'à la mort». Cette phrase n'a pas été prononcée par quelque politologue célèbre, l'auteur n'est autre qu'un rescapé qui a élu domicile dans le campement de fortune situé dans le quartier Bousbaâ de Bordj Menaiel. La cinquantaine, ce concitoyen, qui se dit être adjoint d'éducation en même temps que comédien de théâtre, commentait ainsi les opérations d'aide humanitaire dont devraient bénéficier les gens de sa condition. «L'Etat a brillé par son absence, la société s'est débrouillée toute seule pour nous apporter les premiers secours. Une fois que cela a été fait, on a vu le président de l'APC s'amener avec un chargement de bouteilles de Saïda (eau minérale). Au moment de la distribution, il a tenu à nous rappeler, comme si cela devait nous intéresser, à quel parti politique il est affilié.» A vrai dire, la confession de ce concitoyen nous a fourni le fil conducteur de ce reportage à Bordj Menaiel. Dans cette ville meurtrie, on enregistre plus de 300 morts et les dégâts matériels sont considérables. Le séisme du 21 mai a eu, sur les survivants ici comme partout ailleurs, une incidence mémorielle. L'ampleur des destructions a induit une sorte de télescopage du passé avec le présent. Le moment est propice pour la comparaison entre l'époque coloniale et l'époque de l'indépendance. Chacun y va de son interprétation. La cave où l'on traitait la vigne est toujours là, en face du siège de la daïra. Elle abrite maintenant une coopérative agricole «la Casap». Face à l'hôpital, le centre commercial, une espèce de château de 4 étages récemment construit, s'est effondré. Au centre-ville, la tribune de l'ex-salle des fêtes s'est écroulée ainsi que le hammam jouxtant le commissariat. La mairie a tenu bon. Près d'elle se trouve le siège local de l'Ugta qu'abrite une ancienne église. L'édifice paraît être bombardé tant la furie destructrice semble avoir opéré par le haut. Toiture complètement soufflée, l'un des murs latéraux effondré, l'ancienne église semble être rattrapée par la nouvelle réalité. A quelques mètres plus loin, une nouvelle mosquée, dénommée El-Kouch d'à peine quatre ans d'âge, a, elle aussi, été touchée. Quelques fidèles y ont trouvé la mort. Face au malheur qui s'est abattu sur elles, les petites gens pensent qu'elles ont assez péché «en reniant les valeurs spirituelles qui étaient jadis les nôtres».