Les dizaines de milliers de sinistrés font, tout à coup, l'objet d'un insidieux marchandage. Plus de 25.000 tentes ont été dressées à ce jour dans les deux wilayas les plus touchées par le tremblement de terre du 21 mai. Vaille que vaille, les sinistrés apprennent à vivre sous la «grande smala». A Zemmouri, Corso, Boumerdès, Rouiba et Benchoubane, les sinistrés sont «relogés» dans les stades, grands espaces qui présentent la particularité de ne pas avoir de béton au-dessus de la tête. C'est déjà rassurant. Les autorités locales, partout, entre Alger et Boumerdès, tentent d'éviter toute contestation populaire. C'est la grande hantise de l'Etat. L'épisode de la protesta des citoyens, mercredi dernier, a motivé le déplacement du commandant de la 1re Région militaire, le général-major Fodhil-Chérif qui, le jour même, a éloigné (évincé? démis?) le colonel indésirable de l'épicentre du séisme. A Réghaïa, Thénia, Bordj Menaiel et Tidjelabine, le premier mouvement de la contestation, dû au manque de tentes et de couvertures, a été immédiatement jugulé «étouffé dans l'oeuf», selon le vocabulaire spécialisé. Dans certains endroits, on aurait dit même que «l'khir» coule à flots. On ne manque de rien. L'eau minérale est distribuée (à Zemmouri et dans certains camps, par exemple) à raison de 1 pack (six bouteilles) par repas, soit 9+9 litres, donc 18 litres par jour. C'est bien pour certains citoyens qui n'ont jamais pu se payer de l'eau à ce prix-là. Du couscous à la viande de mouton, c'est un repas quasi normal en ces temps d'exception. 1.200.000 repas chauds ont été distribués à l'issue de la deuxième semaine. Bonbons, fromages, «gazouze» et clowns sont «au menu» des enfants, et ce, outre la prise en charge psychologique, où l'on voit de très, très, très gentilles psy, sourires et caresses à l'appui, venir en aide à des enfants traumatisés par le tremblement de terre, mais qui le seront davantage, dès l'instant, où ils seront sevrés de tout cet éden quasi inespéré. Les efforts de l'Etat sont louables, mais pourvu que cela dure. Au moment du séisme du 21 mai, l'Etat ne disposait que de 2000 tentes. Il a fallu l'aide de l'armée, avec 5000 tentes (stocks de guerre, en principe «intouchable») et des wilayas de l'intérieur, avec 7000 tentes collectées, en plus de l'achat de près de 10.000 tentes et de l'aide humanitaire. Le lendemain du séisme, soit le 22 mai, 1200 tentes ont été dressées. Le 29 mai, ce furent 13.500, le 2 juin, 22.000, le 7 juin ce sont près de 25.000 tentes qui abritaient les familles sinistrées ou inquiètes de passer la nuit dans une tombe (les appartements en dur). D'ici à quelques jours, le chiffre de 29.000 à 30.000 tentes sera largement atteint. Le bilan est vite dressé: le séisme a opéré des dommages dans le bâti foncier dont a résulté le chiffre suivant: 30.000 logements sont classés «vert» (récupérables), 30.000 en «orange 3» (restaurables), 21.000 en «orange 4», c'est-à-dire nécessitant une deuxième expertise qui se prononcera sur la destruction du bâti ou non. 12.000 logements se sont écroulés et doivent être remplacés. C'est, en fait, pratiquement 600 experts et architectes qui se sont lancés dans la plus grande opération de recensement de dégâts jamais opérée en Algérie. C'est dans ce contexte de fragilité extrême de la société et de l'Etat à la fois (les zones de tension couvent à tout bout de champ) que la manipulation peut frapper de plein fouet. Plusieurs actions sont menées çà et là pour venir à bout d'un maire réticent, d'un élu réfractaire ou d'un responsable qui avait la peau dure. Le temps est propice pour la chasse aux sorcières. Pour les groupes armés aussi. Cinquante personnes ont été assassinées en quinze jours. Des incursions terroristes sont signalées à Zemmouri, Corso, Sahel Bouberak, Sidi Daoud et Dellys. A l'orée des grandes chaleurs de juillet-août, il y a de quoi se faire du souci.