Une longue guerre d'usure attend les Etats-Unis à chaque coin de chaque ville dans laquelle se trouve une mosquée. L'Arabie Saoudite est entrée de plein fouet dans un cycle attentats-répressions, qui, à terme, mènera à une totale rupture entre les gouvernants et la population, ou du moins, une certaine frange de la population, car tôt ou tard, tout un chacun aura à faire un choix et prendra parti dans le conflit. Déjà le débat grossit dans la rue saoudienne, et puisque chacune des parties - groupes armés-autorités - s'appuie sur des arguments religieux pour combattre l'autre et convaincre une population très attachée à la religion et à son statut de pays des Lieux Saints ; il faut certainement croire qu'Al Qaîda a trouvé son cheval de Troie. Depuis 1979 et la fameuse prise d'otages dite du «Jouhaïmane», les autorités se gardent d'enfreindre une quelconque règle musulmane, pour ne pas s'aliéner une opposition religieuse, politique ou armée, très pointilleuse sur le sujet et qui, surtout, n'attend que pareilles «infractions» pour pointer un doigt accusateur sur l'Etat et la monarchie et jeter le discrédit sur les autorités. Durant la première et la seconde guerre américaine dans le Golfe, des érudits tels Selmane El Aoudah ou Safar El-Hawali ont gravement désarticulé les fondements mêmes du pouvoir, né d'un mariage entre des chefs de tribus locaux et un mufti d'envergure. La monarchie a pu difficilement reprendre le dessus en jetant en prison les érudits rebelles et en s'appuyant sur d'autres ulémas du gabarit d'Ibn Uthaymine ou Ibn Bez, sommités intellectuelles dans le monde musulman, et qui avaient dû convaincre pendant des années les très hétéroclites groupes locaux de l'interdiction de prendre les armes contre les gouvernants. En termes clairs, l'Arabie se dirige droit sur un terrain où Al Qaîda reste imbattable. S'appuyant sur un «hadith» (propos du prophète, ndlr) l'organisation de Ben Laden incite les musulmans à faire «sortir tout mécréant de la Terre Sainte de l'islam». L'appel à un acte de soulèvement contre le régime et à un sursaut de «violence légitime» contre les Américains date de 1999. Les documents font une large place aux arguments théologiques qui justifient sinon que les populations y adhèrent, du moins qu'elles cautionnent tout acte perpétré dans ce sens et soutiennent les auteurs de quelque manière que ce soit. Cette stratégie est en train de perturber de fond en comble les plans américains, non seulement en Arabie, mais aussi dans tous les pays du Golfe où la doctrine wahhabite fait florès. Longtemps considérés comme les alliés des Américains, les pays du Golfe se découvrent subitement des vertus de farouches opposants à Washington, et leurs peuples se mettent tout à coup à vouloir le départ des troupes US des grandes villes musulmanes. C'est dire l'évolution qu'a subie la région et le travail de fond fourni par les agents d'Al Qaîda, très présents dans la région. En Afrique saharienne et sahélienne, la présence non encore confirmée de bases d'Al Qaîda a poussé à une présence bien réelle, celle-là, de troupes d'experts militaires américains chargés de la lutte antiterroriste. En Mauritanie, au Niger, au Mali, au Soudan et au Tchad, les populations locales trouvent sur place de quoi s'alimenter sur le plan idéologique pour faire «leur» guerre aux Américains. Les groupes rebelles, les mouvements séparatistes, les anciens militaires recyclés dans le commerce d'armes, les entités targuies défavorisées, les islamistes de tout acabit et les réseaux de contrebande locaux ont créé un vaste monde qui vit en marge des lois. Cet univers, sorte de no man's land, capte tous les mécontents de la région. Le Gspc, groupe armé algérien, s'y rend, ou y pose pied, intéressé par deux choses : le commerce d'armes, qui y prospère, et l'achat d'appuis locaux, qui lui fourniront hommes et refuges. Pour peu que les événements s'enchaînent, une force anti-américaine peut se mettre en mouvement à partir de la bande du Sahel. Ici, pas besoin d'y développer une doctrine wahhabite, qui, de toute façon, ne prendrait pas. Le contexte géopolitique de la région est aujourd'hui caractérisé par un indigence totale des populations locales, un dépérissement de leurs biens et de leurs domaines, une absence remarquable de l'Etat, incapable souvent de protéger et d'aider ses populations. Ajoutez à cela une profonde déception vis-à-vis de leurs autorités et la menace quasi permanente qui pèse sur les plus isolés des villages sahéliens, due aux brigands et aux voleurs qui prolifèrent dans la région, et qui incite chacun à prendre les armes et se défendre tout seul. Il y a quelques mois, un rapport émanant des services de renseignement américains stationnés à Nouakchott, faisait état d'une «collusion d'intérêts» entre le Gspc et un groupe d'officiers rebelles mauritaniens. Les mêmes liens existent au Niger, au Mali et au Tchad, et il est tout à fait plausible d'en tirer des conclusions qui vont toutes dans le sens non souhaité par Washington. Le réveil, par trop tardif, et presque insignifiant, des Etats de la région, réunis dans un conglomérat très bigarré pour parler du «terrorisme et malnutrition dans la région du Sahel», ne va en rien changer les choses, parce que tout simplement ces mêmes régimes sont, eux-mêmes, très contestés par leurs propres populations. Instabilité, insécurité et terrorisme répondent en fait à des agressions faites d'injustice, d'inégalités et d'abus. Cercle vicieux s'il en est, et qui peut durer encore longtemps...