Le roi Fahd Ibn Abdelaziz est mort en laissant son pays confronté au terrorisme. Pour les Saoudiens qui l'aiment le constat se présente comme suit: c'est l'homme qui a réussi à faire sortir son pays du nomadisme tribal à l'ère post-industrielle. En fait, ils n'ont pas tout à fait tort, car depuis 1962 il a quand même réussi de grandes avancées politiques mettant à mal aussi bien le comité des muftis musulmans, très influents en Arabie Saoudite, que la doctrine wahhabite elle-même, l'idéologie et l'âme de la religion du Royaume. Ministre de l'Education à partir de 1962, puis ministre de l'Intérieur dans les années soixante-dix, puis enfin monarque, à partir de 1982, on lui doit notamment quelques percées dans l'enseignement, dont notamment ses efforts pour la scolarisation des filles, mais sa gestion de l'islamisme radical reste très discutable. Propageant le wahhabisme dans le vaste monde arabo-musulman grâce à une production phénoménale des livres des salafistes, dont Ibn Taymiya, Ibn Kayim El Jouziya et Mohamed Ibn Abdelouahad, il inonde la bibliothèque islamique et fait don gracieusement de millions d'exemplaires du Coran, édité dans de très belles reliures dorées, et des maîtres livres du salafisme. Son objectif était de détourner l'attention des livres chiites d'un côté, jugés non orthodoxes et non conformes à l'islam sunnite, et d'un autre côté, de faire pièce à la littérature des frères musulmans, qui grâce à Hassan El Banna et Sayed Qotb, était très en vogue entre 1970 et 1985. Les efforts fournis par la monarchie avaient aussi des visées politiques: faire de l'Arabie Saoudite une alternative à l'Egypte et l'Algérie jugées trop «laïques», à l'Irak, jugé «baâthiste» et à l'Iran, qui était le pays musulman le plus en vue, à partir de 1981, mais du fait de son idéologie chiite, était confronté aux pires critiques de la part des Saoudiens. A partir de 1985, l'Arabie Saoudite commence donc à régner réellement sur la religion. L'Egypte et l'Algérie dépérissaient à l'époque et l'Irak et l'Iran se faisaient une guerre sans merci, qui, au bout de sept ans et demi, fit 1,2 million de morts des deux côtés. Le début des années quatre-vingt, qui constituaient le commencement de la percée mondiale de l'islamisme politique, sonnait aussi comme le commencement de l'ère de l'Arabie Saoudite et sa nouvelle hégémonie sur le plan de l'idéologie et l'OPA faite sur l'islam. Dans le royaume, il y avait aussi un triumvirat constitué de trois cheikhs, Ben Bez, Ibn Uthaymine et Nacer Eddine Albani, et qui était considéré comme la référence suprême de l'islam sunnite et l'imminence grise du salafisme djihadiste. L'Arabie offrait son argent, ses écoles, ses oulémas et ses universités, et en échange, elle exportait son idéologie: le wahhabisme. Né de l'alliance entre un chef de tribu de Nejd, le prince Séoud, et un théologien d'envergure, Mohamed Ibn Abdelwahab, le royaume d'Arabie a réussi à faire le compromis et à préserver les fragiles équilibres entre la politique et la religion. A partir de 1989 et la fin de la guerre soviéto-afghane, on assiste à un effet boomerang, avec notamment le retour des Saoudiens chez eux. Dès 1990, des oulémas tels Safar El-Hawali et Selmane El Ouda (les deux « héros » du GIA algérien, souvent cités dans des communiqués exigeant leur libération) commencent à critiquer ouvertement le roi d'Arabie. La montée d'Al Qaîda et le retour chez eux des Afghans arabes a permis l'expansion et la prolifération du djihad. Oussama Ben Laden est Saoudien, l'ami des princes et fait partie d'une famille d'industriels très proches du palais. La présence de l'Arabie au sein des coalisés, en 1991, déclenche les hostilités : les djihadistes, s'appuyant sur une doctrine inflexible, le wahhabisme, pointent un doigt accusateur sur le palais royal du royaume d'Al Séoud, et cette fois-ci, le clergé des muftis du royaume ne peut rien faire contre la déferlante islamiste. Les jeunes Saoudiens, imprégnés du dogme sunnite, salafiste et djihadiste sont retrouvés partout où le djihad se trouve: Afghanistan, Tchétchénie, Bosnie, etc. Le 11 septembre 2001, les Etats-Unis d'Amérique, alliés traditionnels de l'Arabie Saoudite, sont touchés par les plus graves attentats terroristes de l'histoire moderne. Parmi les dix-huit kamikazes qui ont dirigé leurs avions sur Washington et New York figurent quinze Saoudiens. Washington est consternée, et Riyad est gênée. En 2003 et 2004, Riyad est ciblée par des attentats importants et des accrochages meublent désormais, depuis lors, le quotidien de la police locale avec des islamistes. A l'image d'Abdelaziz El Moqrin, les nouveaux apatrides sont bel et bien des Saoudiens et l'idéologie sur laquelle ils se sont appuyés est bel et bien celle, officielle, du royaume. La boucle est bouclée et le boomerang est revenu frapper en pleine tête celui qui l'avait lancé...