Militant chevronné d'une vision modérée de l'Islam politique, l'homme a disparu en laissant derrière lui de nombreux partisans prêts à reprendre le flambeau. A force de voir Mahfoud Nahnah, souriant, confiant en sa force, en ses « bons mots », en sa destinée, on a fini par le croire «immortel». Il s'est quand même éteint jeudi laissant derrière lui un grand vide sur la scène politique et dans le coeur de ceux qui l'ont connu, apprécié, aimé. Il avait tout juste 62 ans. La fleur de l'âge serait-on tenté de dire, en politique. L'homme, que la maladie rongeait depuis plus d'une année, s'est battu farouchement, comme il l'a toujours fait à la tête de son parti politique et, avant cela, dans le mouvement des Frères musulmans, dont il est l'une des figures de proue à l'échelle internationale. La mort de l'homme a été égale à sa vie. Une foule nombreuse et bigarrée est venue hier lui rendre un dernier hommage, présenter ses adieux à celui qui a consacré toute sa vie au service de sa patrie. Tous les courants politiques, mais aussi toutes les classes sociales, étaient hier rassemblées au cimetière d'El-Alia (lire le papier de A.Zakaria). Preuve en est que cet homme de dialogue et de tolérance a réussi à gagner la sympathie de tous, y compris celle de ses plus farouches adversaires politiques. Sa ligne politique, qui lui survivra et qui fera peut-être même des émulations au-delà des frontières algériennes afin de contrer l'islamisme radical, s'accommode dans le même creuset du complet-veston en alpaga, de la barbe fleurie et bien taillée et de la tolérance absolue vis-à-vis de ceux qui pensent et agissent différemment. Pourtant, rien ne semblait prédestiner Nahnah à ce destin hors du commun, un destin qui lui permet désormais d'occuper une place de choix dans les noms les plus inoubliables que l'Algérie aura connus tout au long de son histoire, avant et après l'indépendance. Né le 23 janvier 1942 à Blida, Mahfoud Nahnah est détenteur d'une licence en lettres arabes. Depuis de nombreuses années, l'homme a rejeté le «joug» du parti unique. Il s'est engagé dans des mouvements jugés subversifs, comme l'étaient tous les sons de cloche contradictoires à cette époque. Interpellé en 76, il sera condamné par la haute Cour de sûreté de l'Etat à pas moins de 15 années de prison ferme. La peine sera commuée à seulement quatre années. Ses combats, désormais plus discrets, ne s'arrêteront pas pour autant. Octobre 88 et ses ouvertures démocratiques lui permettront de mettre en place une association islamique à caractère caritatif, Al-Irshad Oual Islah en compagnie de grands noms de l'Islam algériens tels que Cheikh Bouslimani, torturé puis assassiné par les terroristes pour avoir refusé de cautionner sur le plan religieux leur prétendu djihad. Nahnah, dans le même temps, assistait assidûment aux réunions des leaders islamistes de cette époque, y compris à celles des futurs dirigeants de l'ex-FIS. Il s'était, toutefois, opposé à la mise en place d'un parti basé sur la religion et était en cela quelque peu visionnaire puisque les événements ont fini par lui donner raison alors que de nouvelles lois sont venues soustraire l'ensemble des «constantes nationales» aux pratiques politiques, voire carrément politiciennes. C'est en désespoir de cause, et en vue de présenter un visage plus humain de l'Islam, que Nahnah s'est résolu à créer le mouvement Hamas le 6 décembre 1990. Deux années durant, au péril de sa vie même, jusqu'à l'interruption du processus électoral et la dissolution du FIS, Nahnah s'est évertué à cultiver l'image d'un islamisme modéré et tolérant face au radicalisme, à l'intolérance et à l'inculture du parti dissous. Le MSP, Mouvement de la société pour la paix, depuis avril 97, a connu des hauts et des bas, a pris part à tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête de l'Etat algérien depuis 92, se faisant souvent accuser d'accointance avec le pouvoir. Le MSP, qui a supporté stoïquement ces accusations, peut se targuer aujourd'hui d'avoir pris une part active et plus ou moins essentielle au retour du pays vers la stabilité politique, institutionnelle et sécuritaire. Le MSP ne semble plus avoir le vent en poupe depuis environ une année. De grands reculs ont été, en effet, observés lors des législatives et locales de 2002 alors que Nahnah en 99 avait été empêché de se présenter à la présidentielle en dépit des témoignages nombreux de moudjahidine de Blida sur la participation du président du MSP à la Guerre de Libération nationale en tant que «moussabel». La disparition de Nahnah, en ces moments de troubles et de remous partisans, pose le problème de sa succession avec encore plus d'acuité. Les tenants de la ligne de Nahnah ont autant d'arguments à faire valoir que ceux qui veulent aller vers une ligne pure et dure. Mais, le cheikh, qui a su jouer un grand rôle de rassembleur aussi bien avant qu'après sa mort, saura peut-être, une fois de plus, prévenir les débordements et maintenir le parti sur cette ligne qui lui est si chère, ainsi qu'à des milliers de militants et de fidèles.