Entre le moderniste Ghoul et les conservateurs Bouguerra et Mokri, la lutte de succession s'annonce âpre et lourde de conséquences. La terrible nouvelle risque de tomber à tout moment. Mahfoud Nahnah, dont l'état de santé s'est gravement détérioré, lutte contre la mort au moment même où nous mettons sous presse. Si la nouvelle devait se confirmer, il ne fait aucun doute que cette perte, cruelle s'il en est, créerait un immense vide sur la scène politique nationale. Le MSP, en effet, a joué un rôle prédominant dans le retour à la stabilité politique et sécuritaire dans le pays. Ce parti, ancien Hamas, a pris part à tous les gouvernements depuis celui de Mokdad Sifi en 1995, même s'il a commencé à adopter des positions complaisantes à l'adresse du pouvoir depuis 1992 en acceptant l'interruption du processus électoral d'abord, et en refusant de cautionner le contrat de Rome de 1995 avant de s'y attaquer ensuite. Même si beaucoup lui ont reproché cette démarche, pas toujours profitable au parti, qui y a en effet laissé des plumes chemin faisant, celle-ci l'a été au contraire au pays. Farouche adversaire, aussi, des islamistes radicaux, ce n'est que pour contrer le FIS dissous que l'ancien responsable de l'association caritative Al-Irchad Oua Al-Islah a créé son parti, le mouvement Hamas, en date du 6 décembre 1990. Un parti formé de cadres et de tout ce que l'intelligentsia islamiste a donné à l'Algérie, ce qui était loin de concorder avec les idées et idéaux de l'ex-FIS. C'est tout naturellement aussi que Nahnah et ses hommes se sont opposés, la dénonçant à maintes occasions, à la violence islamiste. L'homme le plus proche de Nahnah, cheikh Bouslimani, est mort sous la torture des terroristes pour avoir, précisément, refusé de cautionner leur supposé djihad. Nahnah, partisan des petites phrases appelées à entrer dans l'histoire et des coups de théâtre de dernière minute, ne s'est pas départi de gaieté de coeur du nom de son parti aux fins de se conformer aux prescriptions strictes de la loi organique sur les partis politiques de 97. C'est, depuis cette époque sans doute, que le mouvement s'est scindé en deux groupes. D'un côté, les représentants d'une aile pure et dure, carrément conservatrice, désirant se retirer du gouvernement et rattraper le temps perdu en même temps que pas mal de militants et de sympathisants. Elle est représentée, notamment, par le président du groupe parlementaire, Abderrezak Mokri, un parfait bilingue et un excellent tribun ainsi que par Bouguerra Soltani, membre influent au niveau du majliss echoura, un des théoriciens du parti, auteur de plusieurs livres avec des succès que l'on peut qualifier de mitigés. De l'autre côté, figure l'aile que l'on peut qualifier de moderniste, détentrice de la ligne de Mahfoud Nahnah, favorable à une ligne assez souple vis-à-vis du pouvoir avec une participation de plus en plus importante au sein des instances tout en refusant le qualificatif d'entrisme puisque la politique, estiment les détenteurs de cette ligne, est avant tout l'art des possibles et des compromis sans compromissions. Cette ligne est représentée, notamment, par Amar Ghoul, donné favori par de nombreux observateurs pour la succession du cheikh. Né le 21 mai 1961 à Abadia, dans la région de Aïn Defla, ce jeune universitaire, diplômé des plus grandes universités françaises, docteur en génie nucléaire, est également un orateur hors pairs. Il totalise un parcours politique imposant pour son âge et représente, à ce titre, l'exemple même de la jeunesse qui réussit lorsque la chance lui est donnée. Dans le cas où c'est l'autre ligne qui viendrait à l'emporter, il ne fait aucun doute qu'une autre crise éclaterait au sommet de l'Etat avec le risque de retrait des ministres de ce parti du gouvernement puisque Mokri n'en a jamais fait secret. Cela alors que nous sommes à quelques mois à peine de la présidentielle et qu'un minimum de cohésion est nécessaire alors que le Président, s'il est tenté par un second mandat, doit déjà chercher des appuis chez des partis forts et représentatifs comme le MSP depuis que le FLN a plus ou moins pris ses distances par rapport à lui. Nahnah, souriant et jovial comme à ses habitudes, invité de notre rubrique «A coeur ouvert avec L'Expression», avait déjà indiqué qu'il soutiendrait le Président s'il se présentait pour un second mandat. Mais que de choses, il est vrai, se sont produites depuis... Le MSP, qui se savait déjà à la croisée des chemins à l'aube de son congrès et à quelques mois à peine de la future présidentielle, risque d'être traversé par de grands tiraillements qui menaceraient jusqu'à sa cohésion. Mais, fort heureusement, nous n'en sommes pas encore là. Né le 23 janvier 1942 à Blida, Nahnah, licencié ès lettres arabes et en psychologie industrielle, est affilié au mouvement des Frères musulmans. Cela ne l'a, au reste, jamais empêché de cultiver l'image du parfait islamiste modéré, partisan de la «chouracratie» ou du militant en alpaga et à la barbe parfaitement taillée. Il a commencé à militer très jeune. Au même titre que de nombreuses autres personnes, Nahnah sera arrêté en 76 et condamné à pas moins de 15 ans de prison par la Cour de sûreté de l'Etat. Mais, de même que sa bonne étoile ne l'a que rarement quitté en politique, il sera relâché à peine quatre années plus tard, c'est-à-dire en 1980. Depuis, il n'a jamais lâché son bâton de pèlerin. Candidat malheureux à la présidentielle de 95, il sera «débouté» en 1999 sous prétexte qu'il n'a pas de «carte communale» alors que des moudjahidine de Blida ont confirmé sa participation à la Guerre de Libération nationale en tant que moussabel. Nahnah, à lui seul, ne nous y trompons pas, représente une grande page de l'histoire et du militantisme algériens depuis la Guerre de Libération nationale jusqu'à ce jour...