Nahnah disparu, ceux qui se présentent comme les gardiens du temple aspirent à diriger le parti. Représenté par ces personnalités, le courant dit conservateur qui aspire à prendre les rênes du commandement du parti le plus modéré de la mouvance islamiste algérienne s'est fait remarquer bien avant la disparition de son fondateur, le très charismatique Mahfoud Nahnah. Que se soit au sein des instances du parti, dans les rangs du groupe parlementaire ou à travers leurs déclarations à la presse et aux médias, ces voix se sont faites entendre notamment après les résultats des élections législatives de mai de l'année dernière qui ont vu cette formation enregistrer, pour la première fois depuis son existence légale, une reculade significative et une «perte de popularité manifeste» auprès de l'opinion. Et de l'électorat. Pour ces «jeunes loups» ou dauphins du Cheikh blidéen, l'expérience de plus de cinq années de participation au pouvoir tant local que ministériel et parlementaire n'a pas été vraiment bénéfique pour le parti. Tout au contraire, elle l'a discrédité et serait à l'origine de ses régressions électorales. Autrement dit, c'est «la ligne Nahnah» dans son essence qui était à réévaluer, sinon à revoir et à réorienter. Un état de fait qui ne fut pas sans répercussions sur l'évolution du parti et sa stabilité interne et qui s'est notamment traduit par des fissures et quelquefois des dissensions étalées au grand jour avec une montée au créneau d'un courant opposé à la démarche du téméraire feu Mahfoud Nahnah. Animés notamment par les grands ténors de l'islamisme en complet veston que sont les Abderrazak Mokri, Abou Djerra Soltani, ou le tonitruant Ahmed Dane, ce courant balance en fait entre un islamisme de façade se présentant comme modéré et moderne, cher aux classes moyennes, aux cadres pratiquants et aux qui forment l'ossature du parti et l'autre version du fondamentalisme maximaliste issu de la confrérie des Frères musulmans partisans d'un Etat islamique pur et dur. Toutefois, à l'inverse des militants de l'islamisme radical et parfois armé qui ne reconnaissent aucune légitimité aux institutions de la République et sont prêts à s'en passer pour édifier sur les ruines de cette dernière, la fameuse dawla islamya, ces conservateurs du MSP sont disposés à s'en accommoder, à intégrer ses centres décisionnels par la voie d'élections libres et crédibles pour réaliser ce même objectif: un Etat fonctionnant selon les lois du dogme islamique. C'est à ce niveau de la rhétorique que se situent les divergences d' appréciation de la situation politique et historique de la société algérienne et du système institutionnel qui la gouverne entre ce courant et l'autre aile dite moderniste et même avec le maître de l'islamisme en «alpaga» le défunt Mahfoud Nahnah en personne. Les chefs de file des conservateurs reprochent en effet à la démarche du président du MSP ce qu'ils considèrent comme un éloignement de la ligne originelle du parti qui se veut plus proche des thèses islamisantes. Emergeant au gré de la conjoncture nationale et des rendez-vous du mouvement, ses partisans d'une plus grande rigueur dans l'incorporation des principes de l'Islam dans la stratégie de leur parti et à long terme, dans la société se sont manifestés notamment au sein des organes dirigeants de cette formation tels que le conseil consultatif ou à l'intérieur du groupe parlementaire. Mais le débat émanant de cet embryon d'opposition tranquille ne s'est pas encore traduit ou très peu par des clivages de cette nature et des divisions profondes au sein de la base du parti. Le congrès du parti qui était en préparation et devait se tenir entre le mois de mai dernier et septembre prochain, avait pour objectif de trancher ce débat et de départager les ambitions des uns et des autres sous l'arbitrage du vénéré cheikh Nahnah. La disparition prématurée de ce dernier et peut-être de sa célèbre formule, la «chouroucratie», mélange de «choura» (assemblée de notables locaux) et de démocratie à l'occidentale qui a suscité méfiance des uns et doutes des autres, laisse donc ouverte la porte non seulement de la succession de celui-ci, mais aussi de la coloration idéologique du courant qui incarnera cet islamisme soft. Ceux qui sont présentés comme les conservateurs du parti ont leur mot à dire, sinon leur poids à faire valoir.