Ses lieutenants savaient qu'il était malade et qu'il allait les quitter, mais jusqu'au jour d'aujourd'hui il n'y a pas eu une bagarre de chiffonniers. Même si la succession était ouverte depuis belle lurette, ils n'ont pas donné le spectacle d'une formation déchirée par les batailles de leadership. Jusqu'à ce jour donc, le semblant d'unité a été maintenu, du moins c'est l'impression qui a été offerte à l'extérieur, rien n'ayant filtré des luttes intestines pour le fauteuil de président du parti. Et pourtant, on voit bien que cette bonne entente ne sera pas maintenue trop longtemps. Les prétendants au poste de président sont nombreux, chacun représentant un courant au sein même du parti. Ils ont pour nom Bouguerra Soltani, Abdelmadjid Menasra, Amar Ghoul ou bien Mokri. Les premiers nommés ont tous occupé des postes minitériels, ce dernier a fait toute sa carrière au sein de Hamas d'abord, du MSP ensuite. Les responsabilités gouvernementales ont permis aux premiers de se faire une clientèle assez large, par les avantages et les prébendes dont ils pouvaient gratifier leur entourage immédiat, mais l'activité partisane aussi ouvre de nombreuses perspectives pour ceux qui savent y faire, par la multiplicité des relations qu'elles permettent de tisser avec les militants de base et les responsables régionaux. Chacun a donc des avantages à faire valoir et des inconvénients à éviter comme autant d'écueils. L'autre obstacle à surmonter porte bien entendu, comme toujours en Algérie, sur le poids de la clientèle régionale. Déjà, les différents partis sont crédités chacun d'une assise régionale. On dit que le MRN de Djaballah (et avant lui Ennahda) est plutôt bien implanté à l'Est, dans le Constantinois. Le MSP recruterait plutôt au Centre-Ouest. Et ce schéma épouse un peu la carte électorale. Dans certaines localités du littoral Est, la formation de Saâd Abdallalh Djaballah est arrivée largement en tête, aux dernières élections; alors qu'ailleurs c'est plutôt Nahnah qui ratisse large. En plus de cette donne régionale, la relève de Nahnah rencontrera d'autres handicaps, comme cet art que possédait le cheikh d'avoir un pied dans le pouvoir et un autre dans l'opposition. Voilà en effet un leader islamiste algérien, de surcroît doublé de l'aura de membre à part entière de l'Internationale islamiste, dont la perte sera moins ressentie par les islamistes eux-mêmes que par des cercles larges du pouvoir, à commencer par le Président de la République lui-même, qui voyait en lui l'un de ses alliés les plus sûrs, notamment dans le cadre de sa politique de concorde nationale. Sur ce plan, jusqu'à preuve du contraire, aucun des candidats à la succession du cheikh ne peut se prévaloir de sa capacité légendaire d'être à la fois un homme du système et l'un de ses pourfendeurs. Amar Ghoul est apparemment un homme trop moderne pour pouvoir jouer au cheikh pur et dur, quant à Bougerra Soltani, ses positions tranchées peuvent le mettre en porte-à-faux par rapport à tout un courant d'islamisme modéré. Seul le cheikh pouvait faire une synthèse entre les deux sans vouloir jouer aux Cassandre, on peut tout de même estimer que le MSP, en l'absence de Nahnah, ne sera plus ce qu'il était, un parti islamiste mem- bre de la coalition gouvernementale, et qui a fait la preuve que les deux positions sont possibles et compatibles. Les bénéficiaires de la disparition de cheikh Nahnah se trouvent certainement à l'extérieur du MSP, et l'on voit d'ici que c'est Djaballah qui en tirera tous les dividendes. C'est donc un MSP bien orphelin qui devra faire le deuil des liens privilégiés que le cheikh Nahnah a su tisser aussi bien avec le pouvoir qu'avec les sponsors et les financiers de l'islamisme international. Car aujourd'hui, un Ali Benhadj revigoré par douze ans de détention sera plus enclin à s'allier à un Djaballah pur jus qu'avec un successeur sans envergure et sans charisme de cheikh Nahnah, quel que soit son nom. Avec cheikh Nahnah, le ventre mou de l'islamisme avait sa place en Algérie. Cela ne sera pas évident désormais.