La poussée des épidémies dans notre pays n'est pas une catastrophe inattendue. C'est l'aboutissement d'un long, très long processus de dégradation à large spectre qui a commencé dès l'indépendance. Il faut rappeler que le colonialisme avait repoussé les Algériens hors des villes. Ils étaient confinés dans l'arrière-pays. De ce fait la majorité de la population était rurale. Une fois le pays libéré et les villes vidées de ses occupants, l'Algérie a enregistré un exode rural d'une ampleur sans précédent. Le taux d'analphabétisme était de l'ordre de 90%. L'administration publique, composée à 99% d'Européens, était totalement paralysée après leur départ massif. Pour parer à l'urgence, l'Algérie n'avait d'autre choix que de revoir à la baisse les profils de recrutement pour combler ce vide et relever le défi. Quant à l'expérience, il était illusoire de l'exiger tant elle ne pouvait exister. Et pour compliquer ce tableau, tout en haut de la pyramide, la lutte pour le pouvoir était âpre entre les dirigeants qui avaient mené le mouvement de libération. C'est dans ce contexte d'incertitudes et de tumulte que les Algériens ont pris leur destinée en main. L'ivresse d'une indépendance chèrement acquise et longtemps attendue échappait à toute règle. La vie se déroulait dans une permissivité désastreuse. Le peuple, brimé par des siècles de privations, donnait libre cours à ses pulsions une fois ses chaînes brisées. La représentation de l'Etat était, de ce fait, nulle. L'arbitraire et le laxisme faisaient des ravages. Ce qui allait entraînait une gestion des plus approximatives. La réoccupation de l'espace dans les villes était des plus chaotiques. Les infrastructures urbaines s'avérèrent vite de trop. L'homme, ne pouvant s'adapter au nouvel environnement, entreprit de vivre en le bafouant. Il engagea des réaménagements improvisés qui créèrent des déséquilibres irréversibles. Le taux démographique, comme après toute guerre, explosa. Ce sont ces trois facteurs (exode rural, absence de gestion et démographie galopante) qui allaient engager l'Algérie dans sa lente et inexorable descente aux enfers. A ce jour des problèmes qui datent de cette époque ne sont toujours pas surmontés. Aucune politique de distribution, de maintenance ou d'habitat n'a pu être mise en place de manière efficace. La vie dans les villes a été complètement dénaturée. La pénurie d'eau dans les cités a fini, au fil des décennies, de créer de nouveaux comportements. Des salles de bains ont été carrément supprimés pour leur inutilité et pour faire de la place aux familles de plus en plus nombreuses. L'hygiène élémentaire a été écarté. L'anonymat des villes a favorisé des comportements des plus marginaux. Tout au long de ces décennies, l'Etat, dans l'incapacité de s'affirmer, n'a jamais pu reprendre les choses en main et mettre le holà à l'incurie. Des maladies dermatologiques du début nous sommes passés à la gale et au choléra en passant par la typhoïde. Depuis peu c'est la peste qui frappe. Et si les choses continuent à évoluer dans le même sens même le typhus, qui a fait des ravages dans les années 40, risque de refaire surface. Tous les observateurs avertis s'accordent à dire que pour redresser la situation, il faut mettre à contribution les médias lourds et engager des campagnes d'éducation et de prévention. Au lieu de réserver cet outil exclusivement à des fins de politique politicienne. Et de mener la réforme de l'Etat, simple Arlésienne aujourd'hui, au pas de charge. Autant de vérités dures à avouer, mais que notre pudeur ne doit pourtant pas masquer. Si nous n'écrivons pas notre histoire d'autres, de l'étranger, se chargeront de le faire. Sans ménagement.