Jamais attribution d'un prix Nobel de littérature n'aura suscité autant de réactions. Et pour cause: le récipiendaire, V.S.Naipaul, outre son talent, est le plus acerbe des écrivains, notamment à l'endroit de la religion musulmane. L'Académie suédoise a décerné jeudi le prix Nobel de littérature 2001 au Britannique V.S.Naipaul. Né le 17 avril 1932, à Port of Spain, la capitale de l'île de la Trinité, Viadiadhar Surajpasad Naipaul descend d'une famille de Brahmanes, la caste hindoue la plus élevée. Pauvre, il est transplanté avec sa famille aux Antilles pour servir dans une plantation de cannes à sucre. Grâce à une bourse, le jeune Naipaul se sort d'affaires et va étudier en 1950 à Oxford, en Angleterre. Auteur de plus de 25 ouvrages, il est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands auteurs vivants du XXIe siècle. Si son nom est depuis plusieurs années évoqué pour le prix Nobel, l'Académie retardait cette attribution à cause des déclarations et des réflexions de l'auteur, pour le moins agressives. Naipaul écrit en 1961 son chef-d'oeuvre autobiographique Une maison pour monsieur Biswas. Le livre propulsera l'auteur et fera de lui une personnalité littéraire des plus écoutées. Naipaul allie le récit de fiction, le documentaire et l'autobiographie pour traduire le déracinement dont il fut victime, un thème qui prédomine sur la totalité de son oeuvre. Comme un animal blessé, fiévreux, errant, l'auteur ne fera pas dans le détail et la complaisance quand il s'agira de rendre des comptes sur les nombreux voyages qu'il a faits à travers le monde. A chaque retour en Angleterre, il donnait un tableau cru de ce qu'il avait visité. The Statesman, titre d'un quotidien indien, pays sur lequel Naipaul a, à plusieurs reprises, jeté son dévolu, quand il revenait dans ses ouvrages autobiographiques sur ses racines, accueillait l'annonce de l'attribution du prix Nobel à son compatriote en titrant: L'homme qui aimait blesser la civilisation. The Indian Express, un autre titre indien, concédait: «L'Inde, semble-t-il, n'était pas prête pour son portrait de pays ravagé par des conquêtes multiples, d'un peuple qui refuse de regarder autour de lui, de voir la ruine qui l'entoure», c'est dire la grande influence qu'avait cet auteur, de par le traitement passionnel dont il usait, sur la communauté indienne. Naipaul est le premier homme d'origine indienne à avoir reçu un prix Nobel de littérature depuis le poète bengali Robindranath Tagore en 1913. Dérangeant et critiqué, l'auteur campe sur cette image non consensuelle, et fait tout pour la renforcer. «Un caractère de chien». La légende veut que, pour les journalistes, Naipaul soit un sujet très difficile. Beaucoup l'apprendront à leurs dépens en essayant de l'interviewer et n'hésiteront pas à rendre compte de leurs mauvaises expériences respectives. Mais Naipaul n'a pas besoin de s'allier les médias. Une plume avertie et tranchante lui sert d'arme. Retranché dans sa résidence anglaise, Naipaul, «le dragon» comme le surnomment certains, use de la satire pour décrire le conflit permanent entre culture traditionnelle, qu'il critique vivement, et valeurs contemporaines. Si bien que Naipaul donne l'impression de regarder les choses d'en haut dans une attitude hautaine, qui en exaspère plus d'un. En 1981, et après un voyage de cinq mois qui l'a conduit au Pakistan, en Indonésie, en Malaisie et en Iran, des pays musulmans d'Asie, il sort Crépuscule sur l'Islam, Voyage au pays des croyants. Les intéressés n'ont, alors, pas eu besoin de lire le livre pour savoir que Naipaul ne les avait pas loués. En 1998, quoique apaisé de ses tribulations en terre d'Islam asiatique, Naipaul revient à la charge et affirme dans Jusqu'au bout de la foi, Excursions islamiques chez les peuples convertis que la religion musulmane «force les gens à rejeter leur passé et donc eux-mêmes» et argumente: «Tout musulman non arabe est un converti. Loin d'être simplement affaire de conscience ou de croyance personnelle, l'Islam présente des exigences impérieuses... Le converti doit se détourner de tout ce qui lui appartient en propre. Au prix d'un bouleversement immense de société qui, même au bout d'un millier d'années, peut rester inaccompli». Pourtant Naipaul ne subit pas des menaces, comme ce fut le cas pour Salman Rushdie, car, selon lui, il n'a pas attaqué les articles de foi des musulmans et que tout ce qu'il a noté sur le fondamentalisme, ce sont les intégristes iraniens et pakistanais qui le lui ont raconté. Seulement, loin de s'en tenir à cela, Naipaul s'enlise juste après les attentats terroristes anti-américains du mois dernier, jugeant que l'Islam avait «un effet calamiteux». Asharq al Awsat, quotidien arabophone basé à Londres, n'a pas apprécié l'attribution du prix Nobel à un auteur qu'il juge non conforme aux critères du prix et qui voudrait que le lauréat revête des valeurs humanistes. Pour le quotidien, le choix de l'Académie suédoise est le pire qu'elle ait eu à prendre, vu la conjoncture électrique, et sous-entend même, que la manoeuvre n'est pas dénuée d'intentions préjudiciables à la communauté musulmane.