Doux bruit des poètes qui s'élève quelque part dans un ciel bougiote. Un son, mais aussi des visages souriants, intrigués et passionnés. Du jazz, du free-style, un peu de sonorité africaine et des élargissements rock viennent hanter l'enceinte du Théâtre régional de Béjaïa, lui donnant un soupçon de sublime. « Pourquoi parler d'autre chose alors qu'il y a le cinéma », disait en quelque sorte le poète Godard. Project'Heurts, association dynamique, prend l'adage au vol et l'éparpille sur 7 jours, contant fleurette avec tous les formats que le cinéma peut engendrer. Courts, longs, docus, essais, reportages et parole évidente sur des images toujours aussi folles les unes que les autres. Musicalité, parfum d'une certaine joie et surtout chaleur d'un soleil qui embellit les contours d'une bâtisse abritant le plus important rendez-vous de cinéma sur le territoire national. Il faut le dire, l'écrire, le hurler, Béjaïa est la capitale du 7e art depuis maintenant 8 ans, perpétuant une tradition considérable et rare : l'échange. La solution est très simple. Prenez une journée toute simple. Offrez-lui en matinée un café-ciné, où chaque réalisateur ayant projeté leur film la veille vient se confronter aux regards des spectateurs exigeants. Lancez lesdits regards vers une après-midi placée sous le signe du court-métrage et du documentaire (en moyenne 5 à 10 films par jour). Puis, proposez au public le long métrage de fiction de la soirée afin qu'il puisse dilater son temps précieux. Tout cela, auréolé de débats passionnants, parfois excentriques (la parole peut devenir un moyen ludique de se réapproprier l'imaginaire collectif), émouvants et intelligents. En parallèle de tout ce microcosme cinématographique, le traditionnel et enrichissant atelier de scénario, « Côté Courts », orchestré par le binôme, Jean-Pierre Morillon et Tahar Chikhaoui. Et l'écran cinématographique dans tout cela ? Des films à foison, des images du Maghreb qu'il est intéressant de (sur)évaluer, des bouts de vies offrant un présent désirable, quelques maladresses de style, des choses hybrides… du cinéma, rien que du cinéma et encore du cinéma. Du Dernier Passager de Mounes Khammar (dont il est important de souligner qu'il fut sélectionné parmi les 10 finalistes sur 1600 courts dans une compétition cannoise organisée par le Marché du film et l'office national du film du Canada, et qu'il reçut la mention coup de cœur sur le catalogue) à La Corde d'Omar Zamoum (ancien participant de Côté Courts), en passant par Musulmans de France, de Karim Miské (belle écriture sur un pan spécial de l'histoire de France) et Z'Har de Fatma Zohra Zamoum (troublante et originale proposition de cinéma autour du totalitarisme algérien), c'est toute une géographie maghrébine qui se construit par le biais de l'universalité de la caméra. Les premiers films sont légion et servent un objectif assez rare dans le paysage festivalier en Algérie : passer une image d'un jeune réalisateur à un public toujours aussi friand. En cela, l'association Project'heurts, sous la direction de son président, Abdenour Hochiche, force le destin à canaliser tous les talents d'un pays en voie de cinéma. Le résultat peut parfois intriguer par quelques incohérences, mais ce montage particulier, c'est au spectateur de se le façonner, car chaque respiration, chaque instantanéité du présent, chaque désir capté doivent l'emporter dans une mixité émotionnelle conséquente. Au beau milieu de ce marasme pictural, des noms sortent du lot, chatouillent l'esprit et triturent nos pensées les plus simples. Parions sur le quotidien dessiné au scalpel de la Marocaine Mahassine El Hachadi, sur la prose ludique de Lamine Ammar-Khodja, sur la subtilité de May Bouhada, sur la radicalité narrative de Samia Charkioui, sur les investigations de Larbi Benchiha, sur le regard timide et violent de Fatma-Zohra Zamoum, sur la dilatation du temps géré par El Mehdi Azzam, sur la générosité des sentiments de Hafid Aboulahyane et sur les réflexions incroyables de Mohamed Latrèche. En Algérie, les propositions les plus audacieuses se trouvent à Béjaïa !