C´est un Etat national constitutionnel, démocratique et moderne, fondé sur la séparation des pouvoirs et garantissant l´égalité des droits entre les citoyens qui est réclamé. Par qui? Des insurgés libyens ou des Syriens mécontents? Que nenni! C´est le grand imam d´Al Azhar, cheikh Ahmed al-Tayyeb, qui en est l´auteur. Il a fallu attendre longtemps pour que la prestigieuse institution sunnite basée au Caire, réhabilite un autre de ses penseurs en la personne de Ali Abderrazak, un théologien égyptien qui, au début du XXe siècle, a publié un ouvrage intitulé l´Islam et les fondements du pouvoir dans lequel il appelait aux mêmes principes. Il y a presque un siècle, ce pamphlet paraissait une hérésie, ce qui a valu à son auteur d´être exclu d´Al Azhar. Mais la Révolution est passée par là et les religieux sont bien obligés de faire profil bas et se faire les héritiers des idées les plus progressistes de leurs prédécesseurs. Car tout a été dit sur la séparation de l´Etat et de la religion, même si certains se gardent bien d´assimiler la démarche à une quête de laïcité pour bien se démarquer des initiatives européennes. L´édit du grand imam d´Al Azhar ne rejoint pas seulement les opinions de Ali Abderrazak mais il se rapproche même des thèses et des expériences d´Atatürk et de Bourguiba. Dans quel but cheikh Ahmed al-Tayyeb a-t-il diffusé son message à la télévision? Il admet lui-même qu´il s´agit de définir la relation entre l´Islam et l´Etat non sans ajouter que le tout se déroule «en cette phase délicate». Pas seulement pour lui mais pour de nombreux pays où l´Islam est soit répandu, soit religion d´Etat. Cette sentence a de fortes chances de faire tache d´huile dans les esprits de ceux qui ne sont pas encore acquis à cette idée. A moins qu´il ne s´agisse là que d´un subterfuge pour éviter de focaliser l´attention de tous les intellectuels et des citoyens, épris de liberté, sur le pouvoir religieux. Il se pourrait alors que cette concession ne soit qu´un recul tactique, le temps pour les religieux de se faire oublier et de rebondir de plus belle. C´est aussi un moyen de mettre un frein aux pressions officielles et des ONG occidentales qui ne cessent de réclamer plus de droits pour les adeptes des autres religions et pour les femmes, notamment. En tout état de cause, il est clair que les démocrates peuvent s´allier avec cette frange de représentants de l´Islam pour aider à éradiquer le discours extrémiste. Sans plus. Car, par la suite, la sphère religieuse, rangée dans la case des affaires privées, cessera d´envahir l´espace public. En Egypte, cette sentence est un bon moyen de couper l´herbe sous les pieds des Frères musulmans. Mais quel écho peut-elle avoir en Algérie? Chez nous, les islamistes, emprisonnés ou non, sont en train de tenter l´impossible pour revenir sur la scène politique tandis que parmi ceux qui accompagnent déjà le pouvoir, on prêche la modération. Les deux camps diffèrent certes sur les moyens de parvenir au pouvoir, mais ils se retrouvent quand il s´agit d´utiliser la religion en politique. C´est cette manière de procéder qui était combattue, hier, par Ali Abderrazak, et aujourd´hui, par Ahmed al-Tayyeb.