Scène du film On ne mourra pas On ne mourra pas est le nom de son émouvant et sensuel court métrage présenté durant les 9es rencontres cinématographiques de Béjaïa. Cette belle âme originaire d´Oran nous en parle. L´Expression: Vous venez de présenter votre court métrage intitulé On ne mourra pas. Un film tourné en 2010, mais daté de 1994. Pourquoi ce retour sur ce passé tragique de l´Algérie, sujet aussi sensible pour une jeune réalisatrice qui vit, par ailleurs, en France? Amal Kateb: Pourquoi la nécessité de revenir à si loin déjà, parce que ce n´est pas si loin que ça et que c´est une période qui m´a marqué moi et tous les Algériens. C´est une nécessité pour moi de parler de ça. Tous ces crimes-là, cette tragédie-là, on essaye de fuir, de les cacher mais cela fait partie de notre histoire, de la tienne, des Algériens, de notre mémoire collective, de notre pays. Faire du cinéma, c´est aussi laisser des traces de l´histoire de son pays, de son vécu. Pour moi, c´était vital de le faire. On ne parle pas assez du cinéma de la période de la tragédie nationale... Oui, on n´en parle pas assez, et puis elle n´est pas terminée. Il y a toujours des assassinats, actuellement. Il y a encore de la répression, pas encore de liberté. Pour répondre à la seconde partie de votre première question, je précise que je vis en Algérie, en France et ailleurs. Je ne me sens pas vivre à l´étranger, mais dans plusieurs endroits, quand j´en ai besoin, ça c´est la chance que j´ai et j´en profite. Ça m´a été aussi nécessaire pour avoir du recul. Je n´aurais pas pu parler de ce sujet-là si je n´étais pas partie à un moment donné. J´ai vécu ici jusqu´à l´âge de 20 ans, puis je suis partie faire des études universitaires et après je n´ai pas arrêté de venir en Algérie pendant les vacances quand j´étais étudiante. J´ai fait des études de psychologie. Et je suis toujours revenue, repartie, revenue...Ce mouvement-là m´a permis d´acquérir un savoir que je n´aurais pas pu acquérir ici. J´ai découvert plein de films en France. Les livres que j´ai lus j´aurais aimé aussi les lire en Algérie, mais cela n´a pas été le cas. C´est vrai qu´il y a un savoir que j´ai pu acquérir ailleurs, c´est une réalité. Parlant de distance, quand on est collé à un quotidien fait de sang et de violence, à des tragédies familiales, des personnes qu´on aime et qu´on perd, quand on est confronté à ça, on est bouleversé tout le temps, je parle pour moi. J´avais besoin que mon quotidien soit différent, moins tragique pour pouvoir regarder cette tragédie d´une autre manière, pour pouvoir la filmer, l´écrire et en parler. Je suis plutôt contente de ce parcours sinon je n´aurais pas fait ce film-là. Je n´aurais peut-être pas fait de cinéma... Pourquoi le personnage du journaliste assassiné? Quand j´étais là, les journalistes étaient en première ligne des assassinats par les terroristes islamistes. Ils étaient les premiers visés mais pas que... Après, le terrorisme a changé de visage. Au début, ils ont commencé par tuer les représentants de l´Etat ou de l´administration, puis les journalistes, tous les hommes de culture, après, c´est devenu des massacres de gens anonymes dans des villages... Pour moi, c´était important de signifier à quel point l´intelligence ou le savoir pouvait mette en danger les gens. Ces derniers se faisaient assassiner car ils avaient des idées, parce qu´ils dénonçaient des choses, ils combattaient. Pour assassiner un peuple, on commençait par assassiner son cerveau, son intelligence. Je me souviens d´articles de journaux et de photos en noir et blanc où l´on parlait de camps d´entraînement en Afghanistan, pour devenir de bons tueurs, et je regardais ça et je prenais conscience que les personnes que j´ai perdues seraient peut-être mortes à cause de ces gens partis s´entraîner en Afghanistan. Il me semblait nécessaire de faire ce lien, cette jonction-là. Dans la première partie de votre film, il y a un aspect documentaire qui n´est pas sans rappeler votre documentaire Ghorba Legend. Cette idée-là, du tire-bouchon dans le court métrage date de 15 ans. C´est une idée que j´ai eue grâce à une anecdote que ma tante m´a racontée. Elle connaissait quelqu´un en Algérie qui avait ramené une bouteille de vin, mais il n´avait pas de tire-bouchon et il n´a pas osé aller en demander. Le fait qu´il n´ose pas voulait dire beaucoup de choses, l´idée vient de là. Et après, j´ai appris à écrire un scénario. Pour moi, à partir du moment où l´on écrit, c´est une fiction, après, effectivement, le réel est très présent. J´avais envie qu´on puisse s´identifier à ce réel-là. Ce que tu appelles documentaires c´est peut-être les images prises sur le vif. Ce sont des images que j´ai écrites il y a 15 ans. J´ai écrit tout ce qu´on voit. Après, effectivement, on n´a pas pu avoir le cadre, donc j´ai tourné cette séquence sur le vif car je l´avais repérée. Si je ne l´avais pas écrit, je ne sais pas si je l´aurais fait. En fait je me suis rendu compte que j´avais besoin de cet inattendu-là que j´ai découvert en faisant ce documentaire. C´est une façon de filmer dans le réel. Tu rencontres des gens, ensuite tu décides de comment tu les filmes. Tu laisses leur vie te traverser. Le documentaire, pour tout dire, j´aime beaucoup ça. Je trouve que c´est une grande part de liberté et d´intensité. C´est très intense de rencontrer des gens et d´établir une relation avec eux pour qu´ils te fassent confiance et qu´ils puissent te laisser filmer des choses intimes. J´aime filmer des gens, des choses ou des situations qu´on ne voit pas en général ou auxquelles on ne prête pas attention. J´ai une tendresse particulière pour ces gens qu´on peut croire marginaux. Pourquoi? Pourquoi les aimer? J´en étais une. Quand je suis en France je suis Algérienne. Je sens des regards, des choses compliquées et puis pourquoi eux? Car c´est en Algérie que j´ai découvert le phénomène de la harga et cela m´a bouleversée. Je connais des gens qui sont partis qui en sont morts, etc. C´était une idée fixe pour moi de réaliser un film avec des gens qui ont fait cette traversée sans savoir s´ils allaient arriver à destination. Et ce n´est pas un hasard. Quand on est habité par une idée, des sensations, une intuition, eh bien, on va vers cette chose. Au début le film devait porter sur les vendeurs de cigarettes. J´ai eu une grande tendresse pour ces gens et c´est en discutant avec eux que je me suis rendu compte qu´eux aussi étaient arrivés en France en ayant pris une barque... Vous avez également choisi sciemment des immigrés qui vivent dans la clandestinité et cassent ainsi cette image de l´eldorado de la France. Quand j´ai fait ce film, ce n´était pas pour casser l´image de l´eldorado, car pour eux c´est un eldorado, c´est beaucoup mieux par rapport à ce qu´ils vivaient. Ils sont très heureux malgré la galère, la souffrance, ils sont très heureux d´avoir fait ce parcours d´homme. C´est aussi un film sur le passage à l´âge adulte. Ils ont 22, 23 ans. et ils se retrouvent à devoir s´assumer, à régler des problèmes du quotidien, ils le font avec beaucoup de fierté et de dignité. Ce sont des gens qu´on peut considérer comme des voyous, en Algérie ou même en France, mais en fait, ce sont des êtres humains comme nous tous, qui ont une famille, ils ont dû affronter des tragédies. J´ai beaucoup d´admiration pour eux. Je n´ai aucun jugement moral à leur sujet. Je ne dis pas qu´ils ont mal fait de partir, s´ils ont estimé qu´ils devaient le faire dans leur parcours d´homme, c´est qu´ils devaient le faire, car ce qu´ils vivaient ce n´était pas mieux. Peut-on connaître votre prochain projet? Le tournage du court métrage a été cauchemardesque. J´ai mis un an et demi à en guérir et ce n´est que maintenant que j´ai le désir de recommencer. Je n´ai pas encore trouvé la façon de le faire librement. Quand j´aurai trouvé les moyens et que j´aurai envie, je le ferai, sinon, je ne le ferai pas.