«Tu peux reposer en paix, car la relève existe bel et bien.» C´est avec consternation et douleur que nous avons appris que tu as tiré ta révérence avec ton élégance de toujours, à la vie d´ici-bas. Tous ceux qui t´ont connu et aimé sont restés admiratifs devant ta longue carrière de combattant et sans lassitude tu as été de tous les combats: combat pour t´instruire dans un environnement hostile ne laissant qu´un espace étroit aux enfants des indigènes, combat au nom de l´ALN (Armée de libération nationale) pour le recouvrement de la souveraineté de notre chère Algérie meurtrie, combat pour la prise en charge d´institutions solides au sein de la Gendarmerie pour la formation de cadres à tous les niveaux de la hiérarchie, combat pour le développement du pays pour en cicatriser les plaies béantes laissées par sept ans et demi d´une guerre menée face à un ennemi immonde et sans loi, combat contre la falsification de notre histoire récente, combat enfin, contre une maladie implacable et ce, unique pour ne pas mourir en lâche. Te souviens-tu de notre première rencontre, dans le maquis? «C´était en mai 1961, dans l´Akfadou, lors du scellement de l´accord entre les membres du comité de la Wilaya III historique et les officiers libres», dont tu faisais partie. Les deux délégations étaient conduites respectivement par le colonel Si Mohand Oulhadj Akli dit Amghar et le lieutenant Si Allaoua Zioual. Une mission exaltante et dangereuse Je garde, toujours en moi, cette profonde joie qui avait envahi mon être jusqu´aux entrailles, joie des retrouvailles après vingt et un mois d´incompréhension de part et d´autre, pendant lesquels ont pouvait déceler une certaine concurrence à abattre le plus d´ennemis communs. Certes, les contacts n´étaient pas rompus, entre les deux parties et Si Ahcène le Bougiote en était le lien ombilical. C´est lors de cet accord - accord fait debout - sans position assise que j´ai revu Si Sadek Ferrani et Si Ahmed Kadri qui étaient de passage en juin 1959 au PC de la Région 1, zone 3 implanté à Iguer-Aouin (Illoula) chez les Hocini. En outre, j´ai élargi mes connaissances puisque j´ai rencontré Ould Moussa Mohamed dit Si Mohand Arab avec son calme devenu pour moi légendaire. Si Lounès Bouguermouh, aussi jeune que beau, Si Larbi Mezouari pensif avec des bribes de sourire. Si Hocine Allouache regard profond, Si Boubekeur, Si Moh Tahar que ceux que je n´ai pas cités veuillent bien me pardonner. C´était lors de ces retrouvailles que tu as été affecté comme chef de la Région 1 en zone 4. Déjà tu avais le même grade (sous-lieutenant) lors de ta nomination en 1958 par le colonel Amirouche, pour la formation du bataillon du Djurdjura à son arrivée du long périple des frontières algéro-tunisiennes. Ce légendaire colonel t´a confié cette mission aussi dangereuse qu´exaltante. Je saurai pas la suite, qu´avant d´arriver en Wilaya III historique, tu avais déserté l´armée française stationnée en Allemagne avec le grade de sous-lieutenant pour rejoindre l´ALN stationnée en Tunisie. Le climat relationnel et la vie menée aux frontières de l´Est t´avaient poussé à rejoindre la compagnie d´armement pour rentrer en Wilaya III. Le barrage électrifié franchi, vous aviez eu la désagréable surprise d´être accrochés près de Souk-Ahras. La bataille qui s´en était suivie a été des plus grandes. C´était là où ton compagnon de désertion, le lieutenant Benmsabih de Mascara avait trouvé une mort glorieuse. Mais les pertes subies par l´armée coloniale étaient plus sévères encore, puisqu´une de vos balles avait atteint le colonel Jean-Pierre. Après deux mois d´une longue et pénible marche, à travers monts, maquis et terrains dénudés, tu arrivais en Wilaya III historique dirigée à l´époque par le colonel Si Amirouche. L´opération «bleuite» battant son plein. Mais tu avais trouvé une ALN forte. Organisée en compagnies et bataillons et pleine de mordant. Ta joie était de rejoindre la région de Draâ El Mizan, où tu es né en 1931. Le jeune Moh Zahzouh m´avait raconté ton dévouement en tant que chef de bataillon. Lors de sa blessure à côté d´Agouni Fourou (Ouacifs) tu n´avais pas hésité à le mettre sur ton dos pour le cacher dans une maison abandonnée sous des couvertures amoncelées par les villageoises. C´était dans cette région que tu avais noué des contacts avec des femmes moudjahidate pour les initier au renseignement à l´effet d´une action plus importante au village Tafoughalt. Quelques semaines avaient suffi pour procéder à l´enlèvement des postes militaires de ce village et de celui d´Aït El Kaïd. Tu n´avais aucun complexe ni d´ordre linguistique ni religieux. Cela t´avait amené à rallier à la cause nationale les soeurs blanches de l´hôpital Saint-Eugène (actuellement Amar Ahmed-Ali) en fournissant des médicaments à l´ALN en soignant des djounoud grièvement blessés. Avec la proclamation de l´Indépendance, on te verra toujours au grade de sous- lieutenant chef de Région 2. C´était cela qui te manqueras à vie d´autant plus que tu avais fait preuve de tes compétences et sur le plan militaire et sur le plan de l´organisation. A Bordj Menaïel, tu avais décidé de rendre et ton arme et ton grade, pour rejoindre la Gendarmerie nationale où tu seras nommé capitaine. A l´école d´instruction de Sidi Bel Abbès, au groupement de gendarmerie de Constantine ou à l´état-major, tu ne cessais d´apporter ton soutien à tes anciens compagnons de lutte qui ont rejoint comme toi, la Gendarmerie. Tu les avais même défendus contre l´arbitraire dont ils étaient objet de la part de ceux qui n´ont rien connu de la guerre ou qui étaient de l´autre côté de la barrière. Pour des magouilles dénoncées par toi et non sanctionnées, tu avais remis ta démission à la hiérarchie, allant jusqu´à refuser une promotion dans l´année si les auteurs restaient en place. Tu feras, par la suite, un passage à la Compagnie immobilière algérienne (CIA) avant d´atterrir à la Snlb (Société nationale du liège et du bois). En tant que P-DG de cette dernière, je te reverrai à Remchi (wilaya de Tlemcen) dans les années 1980, où je croupissais dans la même fonction depuis août 1962. Ton franc-parler et ta rigueur ont fait en sorte que ceux qui en sont dépourvus fassent de toi une cible. Mais une cible intouchable car tu étais presque éloigné de tout environnement corruptible. Dommage que tu nous aies quitté si tôt, car la mission est encore plus exaltante avec cette offensive accrue contre le sacré combat que nous avons mené contre la quatrième puissance mondiale. Ceux qui collaboraient avec l´ennemi d´hier, (harkis, goumiers, messalistes, etc.) ou tout simplement étaient spectateurs durant la guerre distillent au sein des générations montantes, leur poison pour falsifier l´histoire récente de notre pays. La relève existe Ils poussent l´outrecuidance jusqu´à organiser des journées d´étude sur Messali Hadj, Azem Slimane, pour ne citer que ces deux-là, alors que de leur vivant, ils avaient choisi leur camp. Enfouir leurs restes dans les entrailles de cette terre chèrement acquise, c´est porter atteinte à la dignité de tous ces hommes et de toutes ces femmes, martyrs ou encore en vie, qui n´ont jamais marchandé leurs sacrifices. Cette chorale bien orchestrée suit pleinement la mesure donnée par l´ancienne puissance à travers les circonvolutions des baguettes de Kouchner et Pierre Lelouche qui ne voient les rapports algéro-français que sous le prisme déformant d´un passé récent. Si pour l´un, l´extinction des Novembristes est une condition sine qua non, pour l´autre regarder dans le rétroviseur, c´est se tromper de direction. Ni l´un ni l´autre ne savent que des Novembristes existent dans toutes les époques et regarder dans le rétroviseur c´est aller de l´avant, en doublant, sans se faire cogner par derrière. Sur ce plan, n´y a-t-il pas superposition complète entre ces deux et «la révolution c´est moi» qui a balayé d´un trait notre identité algérienne chèrement acquise! Mais, cher ami, tu peux reposer en paix, car la relève existe bel et bien: elle se lit sur tous les visages de tes compagnons de lutte, venus nombreux d´Alger, de Tizi Ouzou, de Béjaïa et d´autres horizons, à Tililit, village de tes aïeux pour te rendre un dernier hommage ce samedi 11 juin 2011. P.S.: Pour ton information, sais-tu que le crâne du grand chef résistant Lemdjad Ben Abdelmalek dit Boubaghla, tombé au champ d´honneur en 1851, a été retrouvé par le chercheur algérien Belkadi, dans un musée archéologique à Paris. Personne ne cherche à le ramener sur sa terre natale qu´il avait défendue bec et ongles dehors! N´est-ce pas qu´il y a inversement des valeurs traduit en tamazight: «Yughal Uqalmun si darren»? (*) Ancien officier de l´ALN