A Anissa, compagne de toutes les douleurs vécues, de toutes les larmes versées, de toute la détresse d'un peuple meurtri, de toute une Algérie voilée... Tu croises mon chemin en mars 1995. Une commémoration, une profonde pensée, un lourd silence, un hommage à ton époux Ahmed, à ton unique enfant Rabah, à votre ami Abdelkader, pour la mémoire, contre l'oubli. Femme courage, âme généreuse, leçon de résistance, douleur terriblement silencieuse ; voilà un brin de ce que tu étais. N'est-ce pas que tu m'avais impressionnée ? « Raja, le livre de chevet de Boubah est resté ouvert, sur sa table de nuit, à la page où il l'avait quitté la veille... ». C'est ce que tu m'avais dit. Les mots ont fui. Que dire devant une souffrance imposée ? Que dire devant une fin de monde non annoncée ? Un certain 5 mars 2000, tu as fait de moi ta sœur. Je t'ai accompagnée au cimetière de Garidi, là où reposent tes bien-aimés. L'accès à leurs tombes est accidenté. Tu m'as prise par le bras pour m'aider à descendre. Sur les tombes de Ahmed et de Rabah, tu as délicatement déposé des fleurs que tu as voulu partager avec Mustapha. Tu me racontais que la mère de Mustapha venait chaque jour le voir, afin de nettoyer autour de sa tombe pour ensuite l'entourer de galets tels des pierres sacrées de peur que l'on ne vienne le déranger. C'est avec toi et pour la première fois que j'ai vu les drapeaux de la paix de l'Unesco flotter au-dessus de l'Institut supérieur des beaux-arts d'Alger, là où tes chéris ont laissé leur vie. C'est toi, Anissa, touchée au cœur, toujours porteuse d'espoir, à les avoir brandi, afin que l'art soit un espace de liberté, un havre de paix. A chaque rencontre, à chaque douleur, tu étais debout, solidaire, défiant le malheur accomplissant le devoir de mémoire afin que nul n'oublie ceux qui se sont sacrifiés pour que d'autres vivent dans une Algérie purifiée, délivrée, illuminée. Voilà déjà six longues années que tu es partie, où, à côté des plus justes, tu as trouvé ta place promise. Repose en paix ma sœur, mon amie fidèle.