Les révoltes peuvent conduire leurs peuples droit vers de nouvelles crises Les soulèvements arabes risquent de «conduire leurs peuples droit vers de nouvelles crises, d'ordre ethnique, confessionnel et politique, plus sanglantes», mettent en garde analystes et observateurs. Le refus des dictateurs de lâcher les rênes du pouvoir, la montée en puissance des islamistes, le contrôle des richesses énergétiques, la sécurité d'Israël et l'ingérence occidentale, sont autant de critères qui déterminent le cours du processus de transition démocratique dans le Monde arabe, ont soutenu des experts du Centre de recherche sécuritaire et stratégiques (Crss). En effet, des experts et politologues notent que les révoltes arabes peuvent conduire leurs peuples droit vers de nouvelles crises, d'ordre ethnique, confessionnel et politique, plus sanglantes et plus violentes. Les événements en cours en Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Libye et au Yémen en sont témoins. Les analystes du Centre de recherche sécuritaire et stratégique, en partagent le constat. Les dictateurs arabes - hormis Ben Ali et Moubarak qui ont dû rendre les armes - sont, certes, dos au mur, mais continuent de faire de la résistance, sans rien changer aux aspirations de liberté de la rue arabe. De fait, il y a maldonne dès lors qu'islamistes et militaires reviennent en force, s'offrant les acquis des révoltes, sous l'oeil vigilant des occidentaux, dont le seul et unique souci reste la sécurité d'Israël et surtout le contrôle du marché énergétique. Selon des experts du Crss qui se sont exprimés lors de différentes conférences- débats consacrées aux révoltes arabes, les crises induites par les révoltes en Tunisie et en Egypte d'une part, celles en cours en Libye, en Syrie et au Yémen d'autre part, renseignent sur l'avortement du processus de transition démocratique dans les pays arabes. D'où le questionnement: les révoltes arabes vont-elles conduire à de véritables changements? La montée des islamistes sera-t-elle contrôlable? Ou encore, les militaires accepteront-ils de lâcher si facilement les rênes du pouvoir? L'espoir de voir les révolutions arabes aboutir demeure, dès lors, mince et fragile notent les analystes du Crss. A ces questions, le politologue Mustapha Saïdj, catégorique, note qu'il faudra certainement, plusieurs décennies aux sociétés arabes pour remplacer le clientélisme par la compétence et le mérite, la corruption par l'égalité des chances, le monopole par la libre concurrence et l'autoritarisme par l'arbitrage pacifique. Selon lui, les soulèvements intervenus dans certains pays arabes, ont certes provoqué quelques changements sur le plan de la forme, mais rien sur le fond. Danger islamiste et maintien du contrôle militaire sur le pouvoir Les révoltes arabes risquent, selon Mustapha Saïdj, de conduire à deux scénarios possibles, lesquels vont à l'encontre des aspirations des peuples. Le premier scénario mènera au renouvellement des dictatures avec d'autres visages aux postes de commandes. Le deuxième scénario, estime M. Saïdj, n'est pas meilleur, pouvant déboucher sur des crises violentes, excipant le cas de l'Algérie, après l'ouverture «politique et démocratique», lors de laquelle les islamistes ont imposé au pays presque deux décennies de sang. A ce sujet, il faut dire que nombre d'experts algériens ont prévenu, à l'aube de ces révoltes, que la volonté des islamistes de confisquer les acquis des soulèvements populaires conjuguée au maintien de la dictature, constitueront un retour à la case départ, retardant par conséquent l'avènement de la démocratie en terre arabe. Dans des rapports de synthèse, il est indiqué que «le changement exige du temps, des énergies, de la bonne volonté et un travail de longue durée, pour espérer obtenir des résultats. A titre d'exemple, Mustapha Saïdj signale qu'il a fallu attendre un siècle pour que la Révolution française porte des fruits durables et que les Français viennent à bout des blocages les plus indignes de leur société. Pour M'hend Berkouk, directeur au Crss, le Printemps arabe est confronté à un Mouvement de contre-révolution. Les Mouvements contre-révolutionnaires ont, explique-t-il, montré leurs dents dans la rue en tentant d'entraîner les jeunes manifestants dans des affrontements, en provoquant des heurts à caractère confessionnel entre coptes et musulmans (en Egypte), entre démocrates et islamistes ailleurs dans le Monde arabe. De fait, la crise risque de s'aggraver en Egypte au regard des événements par, sans doute, le renforcement du courant de droite dans le nouveau régime mis en place. Un régime marqué par le contrôle militaire qui, de fait, constitue une garantie pour les intérêts des Etats-Unis et d'Israël en raison du respect des engagements de l'ancien régime vis-à-vis de ces deux pays. Selon, M'hend Berkouk, en Egypte, l'armée, qui a fourni à la République tous ses présidents, de Neguib à Moubarak, tient bien en main le pays. «La page de la révolution militaire de 1952 n'est toujours pas tournée. La révolution égyptienne n'a pas encore eu lieu», a soutenu l'ancien général-major, Medjahed Slimane, relevant, dans le même sens, qu'en Egypte, un courant contre-révolutionnaire fait suite à la chute de Hosni Moubarak. Il est, dit-il, apparu au sein du Conseil suprême des forces armées (Csfa, qui dirige actuellement l'Egypte). «Ce courant s'est exprimé à travers, entre autres, la reprise de la répression contre les manifestants, les tentatives de provoquer une scission au sein du comité des jeunes de la Révolution du 25 janvier, comme l'introduction d'amendements à la Constitution au lieu de la rédaction d'une nouvelle Constitution, mais aussi et surtout par le maintien des militaires au pouvoir», fait remarquer Medjahed Slimane, ex-directeur de l'Ecole militaire de Cherchell. Israël, pétrole et révolte arabe Dans ce contexte, selon l'ancien général- major, dès que les révolutions arabes ont commencé à menacer les deux priorités des Etats-Unis, Israël et le pétrole, l'administration américaine a décidé de prendre les choses en main afin d'étouffer le mouvement de contestation et d'émancipation et protéger ses principales forteresses au Proche-Orient. Donc, l'ancien général-major, Medjahed Slimane est catégorique sur le fait que, selon lui, les incidents qui ont lieu au Bahreïn sont la preuve de la détermination de Washington à empêcher les révolutions arabes d'atteindre leur objectif. L'administration américaine craint ainsi qu'un changement véritable dans les pays arabes, où le pouvoir reviendrait aux peuples, ne mette en danger son hégémonie sur les ressources pétrolières au Moyen-Orient, ou nuise à la sécurité d'Israël. Et pour preuve, relève-t-il, Washington a assuré une large couverture à l'arrivée à Bahreïn des forces du «Bouclier de la péninsule» du Conseil de coopération du Golfe (CCG), essentiellement composées de troupes saoudiennes. Ainsi, après le rétablissement de «l'ordre bahreïni», Washington s'est félicité de l'intervention de forces extérieures au Bahreïn. De même que, note-t-on, aucun commentaire n'a été fait par les Etats-Unis quant à la répression des manifestations en Arabie Saoudite, organisées en signe de solidarité avec le Bahreïn. Résumant la situation, les experts du Crss estiment que les Etats-Unis ont posé des contre-feux en lançant dans les pays arabes des mouvements contre-révolutionnaires, comme de soutenir, dans l'ombre, les régimes en place. Ainsi, en Libye, les Etats-Unis ont laissé le temps au régime de Mouamar El Gueddafi de reprendre l'initiative militaire sur le terrain, avant de lui imposer une zone d'exclusion aérienne. Dans le même temps, face à des rebelles dont la survie dépend de l'aide étrangère, Washington a imposé ses conditions, jouant ainsi sur les deux fronts sans s'impliquer directement dans la bataille sur le terrain, alors que le but ultime était d'établir un équilibre de la terreur qui aboutirait à un partage de facto de la Libye et à une mainmise sur ses richesses pétrolières. Une telle stratégie a été également mise en place au Yémen, où les Etats-Unis ont procédé à une relecture globale de leur politique. Pour ce qui est de ce pays, le directeur au Crss, M'hend Berkouk, note que les USA ont appelé l'opposition yéménite à accepter l'offre de dialogue proposée par le président Saleh, tout en fermant les yeux sur les massacres qu'il commet contre les manifestants. Selon le spécialiste, Washington fait en sorte de déjouer tout changement réel au Yémen afin de maintenir ce pays sous tension pour préserver sa présence militaire et sécuritaire, sous le fallacieux prétexte de la lutte contre Al Qaîda.