Internet, fer de lance des révolutions arabes Est-ce que les réseaux sociaux servent à produire des slogans ou fédèrent-ils les velléités révolutionnaires des jeunes Arabes? L'Institut de prospective économique du monde méditerranéen s'est penché sur l'informatisation de la société méditerranéenne dans une étude intitulée: La confiance dans la société numérique méditerranéenne, vers un espace.med. Le rôle des TIC dans les révoltes arabes y est analysé. C'est Nassim Kerdjoudj, président-directeur général de Netskills, qui s'est chargé de fournir les données à l'équipe désignée pour rédiger la partie concernant l'Algérie. Certains indices aident à comprendre pourquoi les TIC sont loin de jouer un rôle décisif dans la contestation sociale. Le rapport met le doigt sur la faiblesse de la pénétration des réseaux sociaux. Il n'y a que 4,6% de la population, soit 1,6 million qui utilisent les réseaux sociaux contre 5,5 millions en Egypte. En Tunisie, ils sont 20%, soit 2,2 millions d'habitants. Le rapport révèle que même si l'Algérie a opté pour une stratégie ouverte sur l'accès Internet et les processus d'acquisition de solutions TIC avec le plan e-algérie, il n'empêche que les hésitations sont encore fortes. Il est indiqué dans l'étude qu'on assiste à un retour en arrière avec la disparition en 2010, de vingt-trois Internet Service Providers dont le premier fournisseur d'accès Adsl et le retour à une situation de monopole de fait de l'opérateur public Algérie Télécom. Cette faiblesse est compensée par un engouement vers le mobile. De 250.000 cartes sim en 1999 avec un opérateur unique, l'Algérie a actuellement le plus fort taux de pénétration au sud de la Méditerranée. Et l'Algérien dépense 15 à 20% du salaire minimum en télécommunications. Le prépayé reste très dominant avec 98,4%. Le rapport s'est aussi intéressé à la place des entreprises dans le développement des TIC dans les pays du Sud. Nassim Kerdjoudj rapporte que l'appropriation et la consommation des TIC dans les pays du Sud ont commencé à partir des années 1990. Il a remarqué, que dans les pays du Sud où l'éducation est moins développée, l'Internet a réduit le monopole des universités sur la formation. Cette utilisation des technologies a été un élément-clé, selon lui, dans les soulèvements arabes. Pierre Musso, professeur en sciences de l'information et de la communication à Télécom Paris Tech, aborde dans la même étude ce qui est décrit comme une révolution Facebook. Selon lui, ce terme est excessif. Il explique que les TIC sont un facteur d'amplification des activités, que la technique est un outil qui accroît les capacités humaines, mais que ce ne sont pas les technologies de l'information qui sont à l'origine des soulèvements dans les pays du Sud. Le numérique peut être vecteur d'un espace commun, mais il ne faut pas le confondre avec la définition des causes qui sont, elles, démographique, sociale, économique, politique, etc. Ces éléments coïncident avec l'accroissement rapide de l'utilisation Internet dans les pays arabes et du rôle de la jeunesse, fer de lance de ces révolutions. 80% des jeunes utilisent Internet et 60% les réseaux sociaux. Un débat a été organisé en France sur les conclusions de ce rapport et les liens entre révolution et TIC. Il a été constaté que d'importants lieux resteront dans les mémoires comme des symboles du Printemps arabe. Les participants au débat se souviennent de la foule égyptienne se pressant place Tahrir ou encore des Tunisiens scandant: «Ben Ali dégage» devant le ministère de l'Intérieur. Mais c'est aussi au sein d'un espace virtuel, sur la Toile, que se sont joués les moments-clés de ces soulèvements populaires. Eléments déclencheurs ou simples moyens modernes de contestation? Continuent donc à s'interroger les spécialistes qui se penchent toujours sur le rôle joué par les TIC dans les révoltes arabes. Il y a tout de même une certitude selon laquelle le rôle des nouvelles technologies d'information et de communication dans le Printemps arabe ne peut être ignoré, même s'il soulève de nombreuses interrogations. Le consensus est établi sur un élément: Internet est apparu comme une véritable plate-forme de résistance. Les blogs et réseaux sociaux, initialement dédiés aux expressions individuelles, sont devenus relais d'information et moyen de coordination des populations, permettant ainsi le passage d'une cohésion et d'une solidarité virtuelle à une contestation bien réelle. Les chercheurs ont établi que l'informatisation de la société méditerranéenne est un enjeu primordial d'intégration régionale. Si en matière d'accès, d'utilisation, de production ou encore de maîtrise de ces technologies, la région méditerranéenne est loin de constituer une zone homogène, les TIC en facilitant le dialogue, le commerce et les échanges sont vecteurs de codéveloppement et rapprochent les deux rives de la Méditerranée.