«Je dois fermer les fenêtres de mon balcon pour pouvoir dormir sinon... je suffoquée.» Un commerce d'un nouveau genre a particulièrement proliféré ces dernières années à Constantine pendant les soirées du Ramadhan, faisant «grincer des dents» les habituels vendeurs de zalabia et autre qalb ellouz. Ce sont les marchands de brochettes, communément appelés «chewaya», dont le nombre s'est multiplié à un rythme hallucinant en ce mois de jeûne, notamment dans les grands ensembles urbains. Des tables trônent un peu partout dans les quartiers populaires et, surtout, à la sortie des mosquées. «Achalandées» juste après le ftour, les tables (parfois de simples planches posées sur des tréteaux et recouvertes d'une toile cirée) débordent de plats de brochettes confectionnées avec de la viande, des morceaux d'escalope de dinde ou des merguez. A côté, le «mechoua» (barbecue), dégage des effluves de viande grillée par la grâce d'un malheureux morceau de graisse qu'on laisse se consumer sur les braises. De plus en plus, les brochettes sont garnies, histoire de faire beau et de paraître ragoûtant, de fragments de tomates et de poivrons. Brahim B. (52 ans), chirurgien-dentiste, s'étonne que l'on puisse saliver devant des brochettes, fussent-elles affriandantes, peu de temps après avoir fait ripaille au moment du ftour. Mourad, un jeune homme d'une vingtaine d'années, s'étonne, lui, de l'attitude de Brahim qu'il traite de «vieux jeu». «Moi, soutient-il, je ne mange pas grand-chose au ftour à cause de la chaleur, et je me rattrape ici, et en plus c'est super bon!». Mais pourquoi les clients, en particulier les jeunes, sont-ils si «accros»à ce genre de restauration rapide et peu (ou pas du tout) regardants quant aux conditions d'hygiène. D'autant que les vendeurs, qui mettent leurs brochettes à l'air libre pendant des heures, seraient incapables de vous renseigner sur l'origine de la viande. Le prix, évidement, et le «petit creux» du soir, répondront la majorité des jeunes personnes se bousculant aux abords de ces tables. Il semble en effet que les prix imbattables proposés font tout oublier le b.a.-ba de la prudence aux consommateurs de ce produit que l'on consomme invariablement en sandwich avec un luxe de harissa. Il faut dire que la brochette à 10 dinars, ça tente: «avec 100 dinars, je me paie 10 bonnes brochettes, ce que je ne pourrais jamais faire dans un restaurant», lance fièrement Kamel, un adolescent. «C'est raisonnable et ça nous permet, de manger de la viande sans se ruiner», ajoute le jeune homme. Brahim, le dentiste quinquagénaire, revient à la charge pour «supplier les autorités de faire quelque chose enfin d'éviter le pire». Il explique qu'en plus de ne pas connaître l'origine de la viande, «le client risque un empoisonnement étant donné que la viande, exposée à l'air libre ou même dans un caisson transparent, ramasse tous les germes alentours». De plus, ce commerce informel n'est pas du goût des riverains agacés par les désagréments causés, notamment, par la fumée et le bruit: «Je dois fermer les fenêtres de mon balcon pour pouvoir dormir sinon la fumée me fait suffoquer», atteste Bachir, un vieux monsieur résidant au quartier Nedjma. Même constat chez Yacine, un autre père de famille, habitant au coeur de la nouvelle-ville Ali Mendjeli: «C'est infernal, la fumée qui se dégage des mechouas est tellement dense qu'on est privé d'air pur, même quand il fait bon, en plus ils sont la jusqu'à des heures indues», se plaint-il. Des plaintes, dont ces «restaurateurs» de plein air n'en ont cure, tant qu'on continuera à se bousculer devant leurs tables.