Saloua Derbouchi est cette merveilleuse juge du siège de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger), qui adore que les parties en conflit aillent à l'amiable... Si un référendum était organisé pour demander à nos magistrats du siège ce qu'ils auraient voulu, quel délit devait être dépénalisé à cause des ennuis et de la perte de temps générés, ce serait sans conteste l'émission de chèque en bois, fait prévu et puni par l'article 374 du Code pénal. «Un véritable casse-tête pour tout le monde!» Et la juge du mercredi de Bir Mourad Raïs de la cour d'Alger a sûrement envie de crier sa douleur lorsqu'elle entame un dossier de cette catégorie où les inculpés sont légion malgré l'introduction dans le verdict de l'amende égale à la somme transcrite sur le chèque sans provision. Au cours des audiences, c'est l'expectative! Saloua Makhloufi, bat des cils en ayant un oeil sur Abderrahim Regad, le représentant du ministère public et demande à l'inculpé de se débarrasser du quotidien qu'il serre jalousement sous son aisselle gauche. Un geste qui agace, car c'est un acte détesté. «Parce qu'avec un tel boulet, vous avez envie de lire les nouvelles du jour?», ironise presque la juge qui va entendre des vertes et des pas mûres. «Madame la présidente, je...», dit Saïd L., la quarantaine. «Attendez, attendez, coupe la présidente, qu'avez-vous à dire? Le tribunal ne vous a même pas signifié l'inculpation! Alors, du calme. Allons-y tout doucement», dit-elle. Et solennement, Makhloufi rappelle en trente-sept lignes ce qui est reproché à Saïd.L, qui commet une gaffe en prétendant être un commerçant connu à Alger: «Commerçant! Montrez-moi votre registre du commerce!», tonne la juge qui va retenir un légitime fou rire en entendant l'inculpé lui rétorquer qu'il fait dans la débrouillardise, le système «D» en une lettre... «Bien, bien, vous n'êtes pas ici pour usurpation de fonction ou fausses déclarations. On vous reproche d'avoir remis un chèque de deux milliards de centimes alors que votre compte est à sec. Alors, nous allons où?», articule Makhloufi qui sera heureuse ou presque au moment où Saïd.L, se dit prêt à régulariser. «C'est mieux comme avancée. Le tribunal est ravi de cette déclaration!», balance la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Bir Mourad Raïs habituée aux retournements de situation du genre: «Ce n'est pas ma signature» ou encore «je n'ai jamais remis de chèque» donc «nous demandons l'expertise de la graphologie», etc. Ce mercredi, la baraka semble s'être installée dans l'enceinte de cette bâtisse qu'on ose appeler tribunal et le premier tribunal du pays, SVP, par l'envergure de son immensité territoriale et stratégique! L'avocat de Saïd L., s'avance vers la victime et en regardant Saloua Makhloufi, il rappelle que la veille elle avait refusé l'arrangement à l'amiable. «Vous aviez répondu par la négative en arguant les demandes en dommages et intérêts vu la traîne en longueur du non-paiement du chèque et surtout parce que Saïd L., vous a ballotté et ri au nez», récite le conseil de l'inculpé qui est dans un état mental indescriptible. D'ailleurs, son cou ne s'arrêtera pas de faire des quarts et demi-tours vers l'arrière de l'assistance. Il donne l'impression de chercher une âme proche à qui il voudrait dire combien la détention est dure. Car, Mon Dieu, en matière d'émissions de chèque en bois, c'est la bouteille à encre. Et pour tout juge du siège, il y a une maxime qui laisse coi les inculpés-détenus: «Eh, inculpé d'émission d'un chèque sans provision, aviez-vous songé à régulariser la victime? Si c'est oui, nous allons nous entendre. Si c'est non, le tribunal vous promet un retour rapide à Serkadji et là, vous aurez le temps de réfléchir au comment vous en sortir. Pas de régularisation, pas de libération!» Ce paquet de mots de menaces-prévues-par-la loi tombe comme une massue sur le cervelet de l'inculpé déjà démonté par l'incarcération «provisoire» Et comme pour vouloir en finir, la juge pose une ultime question avant de renvoyer les débats, le temps que la tempête s'apaise: «Vous, victime, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'arrangement évoquée par l'avocat de l'inculpé?» La victime baisse la tête et répond par un non: «Je ne peux plus supporter ce bonhomme dans un tel état. On y va alors pour l'arrangement.» Derbouchi sourit et se débarrasse de tout ce beau monde.