Une sommité de l'Islam sunnite contemporaine vient de s'éteindre à l'âge de 93 ans le 12 août 2011. Cheikh Chibane, en partant subitement, nous a donné le sentiment d'être à la fois des orphelins et plongés dans l'obscurité, tant le rayonnement de l'homme phare, l'érudit, le pédagogue, le théologien, le militant de la cause nationale, l'élève fidèle d'Ibn Badis et d'El Ibrahimi nous avait habitués, avec sa plume intarissable et réconfortante, à une espèce d'ubiquité éternelle. J'ai eu l'occasion, il y a quelques années (en 2002) de me faire recevoir avec un ami dans son bureau de l'association des Ouléma algériens aux Anassers, sans rendez-vous, sans protocole. Nous étions venus le voir au sujet des problèmes que rencontrait notre zaouïa. Il s'est mis immédiatement en branle pour demander de l'aide, il discutait avec nous en Kabyle avec une simplicité déconcertante. Nous lisions ses écrits dans différents journaux et revues avec délectation, nous l'écoutions quand il parlait dans certaines manifestations ou oraisons funèbres, nous, les autodidactes et peu lettrés, comme si nous étions ses élèves dans une classe. Issu d'une famille maraboutique fort honorable de Cheurfa, M'chdellah, wilaya de Bouira, bien qu'ayant adhéré au mouvement réformiste de Abdelhamid Ben Badis, il a gardé respect et considération à ses premiers maîtres de la zaouïa de Ben Sahnoun de Djemaâ Saharidj avant d'aller parfaire ses études à la Zitouna à Tunis. Après l'indépendance de l'Algérie en 1962, il fut appelé à l'inspection générale de l'éducation nationale où il a édité des livres scolaires dont on avait tant besoin. Cela ne l'a pas empêché de garder et de pratiquer toutes les traditions saines et rurales de l'amazighité dont il pratiquait essentiellement la langue, lui et sa nombreuse famille. Vers la fin des années 1970, au cours d'un séjour à Alger du défunt professeur Mohammed Arkoun, éminent islamologue et polyglotte, lors d'une conférence conjointe donnée au Centre culturel islamique d'Alger, le public ébahi, voyait et entendait le Cheikh Chibane discuter et plaisanter, parfois en kabyle avec le professeur Arkoun en faisant des démonstrations, tableau à l'appui. Le professeur Arkoun l'écoutait et acquiesçait comme un élève devant son maître. Cheikh Chibane compte parmi ceux qui ont donné leur sève et leur personnalité culturelle à l'Algérie. Adieu, cher Cheikh, au Paradis avec les meilleurs compagnons et les véridiques. «A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons.» Mehalla Lounis de la Zaouïa de Sidi Mansour El Djenadi Timizart-Tizi Ouzou